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Chapitre X |
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Épisode 040 |
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Assis devant son café, Raoul s’attendait à une explosion de la part de sa femme. Mais Carmen ne semblait pas se préoccuper de lui, elle astiquait méticuleusement le montant de la fenêtre. Après avoir fini sa tasse, il se décida à parler. - Je suis désolé pour hier, je n’aurais pas dû m’emporter. - Tu aurais pu me téléphoner pour me dire que tu rentrerais tard. - C’est vrai. Excuse-moi. Mais hier soir, les copains m’ont proposé un billard et je n’ai pas vu le temps passer. Carmen ne le regarda pas. Elle se concentra sur les traces de poussière qui décrivaient des cercles réguliers autour de son chiffon. Sur sa gauche, une araignée avait tissé sa toile dans laquelle un moucheron agonisait. L’insecte prisonnier se débattait faiblement et un instant Carmen eut l’impression de se trouver à sa place, animal pris au piège d’une mystérieuse conspiration. - Surtout ne te fâche pas. La voix de Raoul avait cette intonation qu’elle connaissait trop bien, ce ton suave qui annonçait un mensonge. Il continua : - La carrosserie de la voiture a besoin d’être polie, je vais aller la porter chez Gus, tu sais mon pote garagiste à Annecy. Ne m’attends pas pour souper, je risque de rentrer tard. Raoul se cramponna au rebord de la table, c’est maintenant qu’elle allait exploser. Mais Carmen se contentait de hocher la tête en proposant de lui préparer un casse-croûte pour son repas. Il s’empressa d’accepter en songeant qu’elle commeçait à comprendre qui dirigeait cette baraque. Pendant qu’elle préparait ses sandwichs, Raoul prit une douche, s’aspergea copieusement d’eau de toilette, s’habilla et fourra des produits de maquillage dans un sac. Ses habits de chasse étaient planqués dans le garage. Carmen serait devenue hystérique en voyant le blouson et les tee-shirts moulants. Avant son rendez-vous, il devait conduire la vieille chez le médecin pour trois heures. Heureusement, il ne devrait pas l’attendre, sa fille viendrait la chercher. Cela lui laissait du temps pour ses repérages, il ne voulait rien laisser au hasard. En allant chercher son pique-nique à la cuisine il trouva Carmen en grande discussion avec Maria. - Eh bien, c’est rare de vous voir discuter ensemble. Maria, vous ne seriez pas souffrante j’espère ? - Je vous remercie de votre intérêt pour ma santé Raoul, mais rassurez-vous, je vais très bien. Carmen lui donna son pique-nique emballé dans un sac en plastique blanc et rose. Il la remercia, lui déposa un baiser rapide sur la joue et s’en alla en laissant les deux femmes à leur bavardage. Maria attendit que la porte soit refermée et dit : - Je vais t’aider, mais explique-moi ce qui se passe. Alors Carmen lui raconta tout. Ses doutes, ses déceptions, ses craintes de voir son mari faire des bêtises. Au cours de son récit, elle se détendit, certaine que ce n’était pas trop tard, que la vie qu’elle avait tant désiré partager avec Raoul était encore possible. Maria avait écouté sans l’interrompre. L’histoire de Carmen était triste et banale, c’était pour éviter de tomber dans cette misère qu’elle ne s’était jamais mariée. - Comment comptes-tu t’y prendre pour le suivre ? - Ce matin, je me suis levée très tôt et je suis allée chez le marchant de cycle du coin de la rue. Je le connais, c’est un vieux monsieur qui promène son chien dans le parc. Il a été d’accord de me prêter un vélomoteur pour la journée. - Et tu penses que tu vas réussir à suivre sa grosse voiture en vélomoteur ? Devant l’air dépité de Carmen, Maria lui tapota le bras et reprit : - S’il reste en ville, tu n’auras pas de peine à le filer. Elle ajouta, soudain très sérieuse. Carmen, ne prends pas de risques inutiles. Elle avait failli dire « pour un homme qui n’en vaut pas la peine ». Mais elle se retint juste à temps. Carmen n’avait pas besoin des radotages d’une vieille râleuse. Maria enfila son tablier, sortit les carottes du réfrigérateur et commença à les éplucher en disant : - Maintenant dis-moi ce que je peux faire pour t’aider. - Pourrais-tu aller promener la grand-mère à son retour du médecin ? Hier, je lui ai promis qu’on y retournerait cet après-midi, elle adore cette promenade et ne je voudrais pas la décevoir. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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