Raoul regarda sa montre, il était en avance. La voiture était garée plus loin, il ne voulait pas attirer l’attention sur elle. Aujourd’hui, le parc était presque désert. Quelques enfants s’amusaient sur la place de jeux en poussant des cris joyeux. Soudain, une fillette tomba de la balançoire et se mit à pleurer. Raoul ne supportait pas d’entendre un enfant chialer, il avait envie de la taper pour qu’elle se taise. Son père non plus ne supportait pas les chialeurs.

Le regard rivé aux gamins, il se rappela la nuit où sa petite sour avait vomi dans son lit et criait pour qu’on vienne s’occuper d’elle. Mais sa mère était sortie, c’était très rare d’habitude elle ne sortait jamais, pourtant ce jour-là, elle était allée manger au restaurant avec des copines et pendant ce temps sa sour n’avait rien trouvé de mieux que de tomber malade. Elle hurlait, hurlait, c’était insupportable. Finalement, il s’était levé pour essayer de la calmer, mais quand il était arrivé dans la chambre, son père tenait le petit corps à bout de bras en le secouant dans tous les sens. « Tais-toi, arrête, arrête, » mais les cris se transformèrent en sanglots de terreur et alors son père la laissa tomber, non, il ne la laissa pas tomber, ça c’était la version pour les flics, il avait projeté sa petite sour de toutes ses forces sur le carrelage.

Raoul secoua la tête pour chasser les cris qui résonnaient encore dans son crâne. Avant « l’accident » Clara ne marchait pas encore, après elle ne pouvait plus marcher, sa colonne vertébrale avait été brisée à trois endroits. Sa mère resta encore six ans avec eux, et puis, un jour elle fit sa valise et partit, avec Clara. Il ne l’avait jamais revue.

L’horloge de l’église qui dominait le parc sonne quatre coups qui firent sursauter Raoul. Il se retourna comme si son père le poursuivait avec ses objets de torture. « Vilain garçon, y a des traces dans ton lit, des traces impures, tu dois être puni ».

- Salut.

Raoul échappa de justesse à la punition paternelle, le jeune pédé l’avait sauvé, il lui en était reconnaissant, mais il ne changerait pas ses plans pour autant.

- Salut, je t’emmène faire un tour.

Aujourd’hui, il avait choisi de mettre un pantalon noir moulant et une chemise jaune pâle sous son blouson. Il préférait ne pas se faire remarquer. Cela faisait partie de son plan. Le jeune gars, par contre, ne passait pas inaperçu. Jeans troués, veste noire cintrée, cheveux décolorés. Le type même de la pédale en chasse. Steve - il s’appelait Steve - s’arrêta pour allumer une clope.

- Dépêche-toi de la finir avant de monter dans la bagnole.

Il avait parlé trop brusquement, mais il ne voulait pas laisser des traces de fumée dans la voiture.

- Doucement, t’inquiète pas pour ta caisse. Dis-moi plutôt où on va.

- Tu verras, c’est une surprise.

- J’adore les surprises.