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Chapitre XI |
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Épisode 046 |
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- Entre Robin, je vais réchauffer ton repas, tu dois crever de faim. Robin remercia chaleureusement sa belle-sour. Oui, la journée avait été rude et il était affamé. Les interrogatoires des personnes présentes au vernissage n’avaient rien donné. Personne n’avait fait attention à Nicky, à croire qu’il était invisible. Et pour couronner le tout, ce soir Jobin l’avait appelé sur son portable alors qu’il se rendait au dîner d’anniversaire de son neveu. Il devait aller de toute urgence au port où une fusillade avait éclaté. Une femme était grièvement blessée. Sur place, il avait constaté les dégâts. Il ferait son rapport demain en essayant de ne pas charger Steve. Malgré son tempérament impétueux et son ambition parfois agaçante, c’était un bon flic. Quand au présumé agresseur des bars, c’était l’inspecteur Jobin qui s’en occuperait. Il avait assez à faire avec le meurtre de Nicky. Alice le précéda dans le corridor en criant : - Laurent, Loïc, éteignez cette télé, et venez nous rejoindre. - On arrive. Robin n’avait pas vu son neveu depuis plusieurs semaines et il fut frappé par sa ressemblance avec son père. Même regard malicieux, mêmes cheveux cuivrés. Il avait beaucoup grandi et son corps s’était modifié, il entrait dans l’adolescence et Robin eut la vision fugace d’un petit enfant blotti au creux de son épaule qui suçait son pouce en poussant des soupirs d’aise devant Bambi. Mais quand il serra Loïc dans ses bras en lui souhaitant un joyeux anniversaire, il croisa ses yeux pétillants et Robin oublia son éclair de nostalgie. Pendant qu’il engloutissait son repas, les trois autres lui racontèrent les derniers événements. Comme d’habitude, Robin avait du mal à les suivre car ils parlaient tous en même temps. Ils racontaient bien la même histoire, mais chacun y allait de sa version personnelle. Les points de vue variaient, surtout quand il était question du travail scolaire de son neveu. Lui trouvait que c’était suffisant, mais ses parents pensaient qu’il pouvait faire beaucoup mieux. Alors, invariablement, Loïc prenait son oncle à témoin en l’implorant de lui raconter pour la centième fois ses frasques d’écolier. Et invariablement, Robin racontait les mêmes histoires en inventant des détails, ravi des éclats de rire de son neveu. Il se sentait bien ici. C’était sa petite famille, et depuis son divorce, la seule qui lui restait. s. Après le dessert, son frère et son neveu retournèrent devant la télé. C’étaient des mordus de football. Robin n’aimait pas regarder courir des athlètes depuis un fauteuil, cela lui donnait mauvaise conscience. Alors il resta avec Alice et l’aida à ranger la cuisine. - ç a avance ton enquête ? - Pas vraiment, j’ai le sentiment étrange d’être mené en bateau. Robin parlait rarement de son boulot, mais Alice avec sa grande oreille savait écouter et trouver les mots justes pour l’encourager quand il avait l’impression de tourner en rond. - Ce n’est pas étonnant, personne n’a envie de réveiller des fantômes. - En effet. Mais c’est surtout ce qui touche à la galerie Maudet qui m’intrigue. Alice brandit son torchon dans sa direction. - Elle, je la connais. Le ton incisif de sa belle sour le surprit. Elle continua. - Florence, elle était avec moi au collège. - Et tu l’as revue depuis ? - Oui, quelques fois. Par hasard. L’année passée nous avons eu une soirée des anciens du collège Rousseau. Elle était là. Elle ne m’a pratiquement pas parlé, mais ses paroles m’ont blessée, et j’ai eu l’impression de me retrouver à dix-huit ans, petite boulotte mal dans sa peau en admiration devant la belle Florence. Tu vois, Robin, les choses ne changent pas : vingt ans plus tard, Florence porte sa quarantaine sans une ride, et moi, je suis toujours aussi rondelette. Florence aimait exploiter ses admirateurs. J’en étais une, peut-être la plus fervente, elle était tout ce dont je rêvais. Bref, pendant cette soirée, elle m’a fait une réflexion du style « ça fait plaisir de voir que certaines choses ne changent pas » en faisant mine de caresser mes bourrelets. Alors, lorsque l’autre jour je l’ai vue sortir de l’hôpital en pleurant, je ne me suis pas arrêtée. Alice se leva, posa sa tasse dans l’évier et dit : - Je m’en suis voulue après coup, mais j’étais en retard pour mon service et je ne voulais pas faire attendre l’infirmière de nuit. Plus tard, en marchant dans les ruelles désertes en direction de chez lui, Robin se demanda ce qui avait bien pu faire verser des larmes à la belle Florence. |
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