Chapitre XI
 
     
 
Épisode 047
 
     
 

Son lit jonché de sacs à main ressemblait à un repère de pickpockets. Claude avait toujours eu un faible pour les sacs, mais elle ne se souvenait pas en avoir accumulé autant. C’est vrai qu’elle avait du mal à se débarrasser de ce qu’elle n’utilisait plus, elle gardait tout, comme si chaque objet était une pièce d’un gigantesque puzzle dont elle serait la seule à connaître le motif final.

Après avoir longuement hésité, elle opta pour un sac bleu marine en cuir souple. Sobre et élégant. C’était parfait. Mais finalement, elle choisit le beige et, avant de changer d’avis, fourra les autres dans l’armoire.

Elle avait décidé de se rendre au restaurant à pied, un peu d’exercice ne lui ferait pas de mal et elle détestait conduire de nuit. Raoul aurait pu l’amener, mais il était introuvable. Carmen aussi d’ailleurs. Claude était légèrement contrariée par leur absence, même si Maria lui avait assuré qu’elle s’occuperait de Lilie. Pour une fois qu’elle sortait, elle aurait préféré que Carmen soit là. On ne savait pas ce qui pouvait arriver avec une dame âgée et une petite fille sujette à des crises d’angoisses.

Claude avait exceptionnellement autorisé sa fille à regarder un dessin animé avec Maria. Depuis qu’elles avaient emménagé chez sa mère, elles n’avaient plus la télévision. Claude ne voulait pas que sa fille passe ses journées devant le petit écran. Ne pas regarder la télé l’obligeait à lire, à bricoler, à s’occuper sans s’abrutir. En plus, elle ne voulait pas imposer le bruit d’une télévision à sa mère. Mais parfois Claude autorisait Lilie à aller dans la chambre de Maria pour regarder une cassette. Alors Lilie s’installait sur le canapé avec un paquet de bonbon et ne décollait pas jusqu’à la fin du film.

Ce soir, elle avait choisi de revoir Merlin l’Enchanteur , son dessin animé préféré, même si à chaque fois elle fermait les yeux quand la sorcière se transformait en dragon.

Avant de partir, Claude entra doucement dans la chambre de Maria pour leur dire bonsoir. La pièce était plongée dans la pénombre et elle attendit un moment sur le pas de la porte que ses yeux s’accoutument à l’obscurité. Alors elle devina trois silhouettes serrées sur le petit canapé qui avait été déplacé devant l’écran pour l’occasion. En s’approchant pour embrasser sa fille, elle réalisa que la troisième spectatrice était sa mère. Incroyable. Elle n’avait jamais vu sa mère regarder la télévision et d’habitude, à cette heure-là, elle était déjà couchée. En apercevant sa fille, Louise se leva et l’embrassa chaleureusement.

- Bonne soirée ma chérie, et ne t’inquiète pas pour Lilie, nous veillons sur elle.

Suffoquée, Claude ne répondit pas. Elle n’aurait jamais cru sa mère capable de veiller sur qui que ce soit.

Arrivée en bas de l’escalier, elle remonta son col et ajusta les pans de son manteau pour affronter le froid. C’est seulement au coin de la rue voisine qu’elle se rendit compte qu’elle chantonnait, comme si les branches ballottées par la bise lui soufflaient une mélodie.