Chapitre XII
 
     
 
Épisode 052
 
     
 

- Entrez, mais laissez votre parapluie sur le palier, j’ai déjà assez à faire sans devoir éponger le mauvais temps.

Robin ne répondit pas. En pestant, Maria fit mine de se désintéresser du policier et concentra son attention sur une toile d’araignée qui prenait naissance à l’angle de l’entrée et du corridor qui débouchait sur les chambres des domestiques.

- Ce n’est pas aujourd’hui que ces saletés vont être nettoyées.

C’était étrange, cette grosse femme qui grognait dans son coin. Elle ne s’adressait pas à lui, et Robin ne dit rien, mais il se rapprocha et déboutonna lentement son imperméable. Si Maria voulait lui parler, elle saisirait l’occasion.

- Si Carmen n’était pas à l’hôpital, elle pourrait s’en occuper, elle n’a pas son pareil pour astiquer une maison, une vraie perle.

Robin suspendit son imperméable au porte-manteau et demanda à la cuisinière ce qui était arrivé à Carmen. Dès qu’il eut posé la question, Maria lui jeta un coup d’oil de conspirateur en posant un doigt sur ses lèvres.

- Attention, ici les murs ont des oreilles, Raoul risquerait de nous entendre. Je ne l’ai pas entendu rentrer, d’ailleurs, je me demande comment il ose encore se pointer dans cette maison après ce qu’il a fait, mais c’est un malin, il sait comment la prendre. Carmen l’a toujours protégé envers et contre tout, mais maintenant trop c’est trop, il faut que cela cesse. Maria pointa un doigt menaçant sur le ventre de Robin. Comment avez-vous pu laisser sortir ce salaud ?

- Ecoutez Maria, je ne comprends pas de quoi vous parlez. Que s’est-il passé ?

Alors Maria l’entraîna dans sa chambre et lui raconta la poursuite, la bagarre, les coups de feu. Elle s’enflamma en décrivant Carmen dans son lit d’hôpital, petite chose pâlotte harcelée par un mari repenti.

- Mais Raoul ne changera jamais, il est mauvais.

Maria s’arrêta pour respirer et Robin en profita pour placer quelques mots.

- Si l’inspecteur chargé de l’enquête l’a relâché, c’est certainement qu’il n’y avait pas assez de preuves pour l’inculper.

- Arrêtez avec votre langage de flic, même si Raoul n’est pas l’agresseur des bars, c’est un fou dangereux capable de tuer sa femme.

- Carmen devrait porter plainte.

- C’est ce que je lui ai dit, mais elle .

A ce moment, la sonnette de la porte d’entrée retentit. Maria jeta un dernier regard à l’inspecteur Morales et quitta la pièce. Robin en profita pour fuir la petite chambre encombrée et s’engouffra dans un couloir étroit qui longeait la pièce. Les propos de la cuisinière l’avaient intrigué. Il se promit d’examiner l’affaire dès son retour au commissariat.

Le couloir débouchait dans la cuisine. Impressionné, Robin fit le tour de la pièce. Une gigantesque cheminée se découpait dans un mur noirci par des générations de viande grillée. En face, des dizaines de casseroles, poêles, couvercles et autres ustensiles étaient soigneusement suspendus. Chaque objet avait sa place et semblait attendre la maîtresse des lieux qui lui donnerait vie. Une petite table en bois recouverte d’une nappe en plastique se tenait en retrait de cette armée prête à concocter des délices avec ses étranges ustensiles. Autour de la table, trois chaises semblaient converser. Robin s’assit sur celle qui faisait face à la fenêtre. La rumeur de la ville assourdie par les doubles vitrages semblait chantonner. En fermant les yeux, Robin respira profondément l’air chargé de résidus d’odeurs délicieuses imprégnées dans tous les recoins de la pièce. Le sandwich avalé en hâte au commissariat avant de venir avait déjà déserté son estomac qui gargouilla sous l’effet de ces images olfactives.

Une pression sur son avant-bras le fit émerger de sa rêverie. Incroyable, il s’était assoupi, aspiré par un bien-être qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps.