Chapitre XII
 
     
 
Épisode 053
 
     
 

Debout à ses côtés, une petite fille le dévisageait avec curiosité. Sans le quitter des yeux, elle grimpa sur un tabouret et saisit un paquet de biscuits posé sur le dernier rayon d’une étagère. Elle ne faisait aucun bruit, comme si son petit corps gracieux échappait aux contraintes de la gravité.

Aurélie bondit sur le carrelage. Elle aime faire de l’acrobatie, mais dans cette maison tout le monde le lui interdit. C’est le dernier paquet, il va falloir qu’elle supplie Maria d’en racheter, ce qui ne va pas être facile. Elle est devenue plus stricte ces derniers temps. Pour son bien être paraît-il, pour éviter qu’elle finisse avec des trous dans l’estomac et des dents pleines de caries. Mais Aurélie aime le sucre. Même son médecin a reconnu que les sucreries l’aident à compenser. Compenser quoi ? Depuis cinq ans, elle s’est conditionnée pour ne pas y penser. Mais aujourd’hui, elle va devoir se replonger dans ce cauchemar, revivre le jour de l’accident, ce samedi pas comme les autres qui a bouleversé sa vie.

Elle avait été si stupide ! Si elle n’avait pas piquer sa crise pour avoir des bonbons, son papa serait toujours en vie, il ne l’aurait pas laissée toute seule avec ses remords.

Aurélie s’approche de Robin qui n’a pas bougé. Elle l’a observé depuis son arrivée dans l’appartement. Ce policier ne ressemble pas aux autres, ceux qu’elle voit passer dans la rue, ceux qui se baladent fièrement avec leur casquette grise vissée sur la tête et leur pistolet scotché à la ceinture, ceux qui ont l’air de chercher le méchant derrière chaque passant. Ce monsieur pas coiffé, avec son col élimé et ses chaussures aux lacets de différentes couleurs, a l’air plutôt sympathique et il a été gentil avec Maria.

Aurélie ouvre avec précaution le paquet de biscuits et le tend à Robin qui en prend deux.

- Merci, je viens de manger un sandwich, mais j’ai encore faim.

Lilie hoche lentement la tête. Elle a toujours faim après le déjeuner.

- Tu dois être Aurélie, moi c’est Robin. Tu me surprends en flagrant délit de gourmandise, je n’ai jamais pu résister à l’attrait d’une belle cuisine. Il marque une pause en fixant Aurélie. Tu sais, j’appréhende notre entretien, cela va être pénible pour toi et je ne veux surtout pas te faire de peine, je crois que tu as suffisamment souffert.

Oui, il est gentil. Mais il ne peut pas comprendre, il ne sait pas pour la grosse voix qui hurle dans sa tête. Aurélie avale un biscuit et tend le paquet à Robin qui se sert généreusement. Il fallait la faire taire. Avant elle se bouchait les oreilles et la grosse voix partait. Mais depuis quelque temps, elle insistait, emplissant son crâne de ses paroles menaçantes comme si elle voulait la dévorer. Un jour elle se réveillerait à l’intérieur du monstre, dans la puanteur de ses entrailles. Lilie frissonne. Non, elle ne se laisserait pas faire. Sans un bruit, elle prend un objet sur une étagère du vaisselier et le tend au policier. C’est sa photo préférée. Une image d’avant l’accident. Il l’examine attentivement puis lui rend en disant :

- La petite fille de la photo est adorable et semble heureuse. Aujourd’hui, elle a grandi, elle est devenue ravissante, mais elle semble si triste. J’aimerais pouvoir l’aider à retrouver son sourire.

Aurélie baisse la tête pour masquer son trouble. Il a raison, elle a grandi Ses yeux embués rencontrent ceux de la fillette qui sourit en la regardant. Elle aime ce sourire, mais elle sait qu’elle devra verser beaucoup de larmes pour le retrouver.