Chapitre XII
 
     
 
Épisode 055
 
     
 

Son médecin prend sa main et lui murmure :

- Nous avons besoin de ton aide pour démasquer le meurtrier de ton papa qui a vraisemblablement aussi tué son ami Nicky. Je sais que depuis cinq ans tu es hantée par ce maudit samedi mais aujourd’hui, nous sommes là pour t’aider à comprendre ce qui s’est passé, pour t’aider à chasser les fantômes qui te terrorisent.

Lilie aime bien David, il est gentil, mais il a la sale habitude de parler si doucement qu’elle a l’impression d’être sourde. L’inspecteur prend le relais, il s’approche d’elle.

- Lilie, j’aimerais que tu te replonges cinq ans en arrière, au moment où ton papa t’installe dans la voiture pour aller à la station service. Tu vas mimer ce qui s’est passé, en utilisant les objets qui sont dans la pièce pour t’aider. N’oublie pas, à n’importe quel moment tu peux t’arrêter. Ton témoignage est très important, mais je ne veux surtout pas te faire du mal.

L’inspecteur lui caresse doucement le bras. Il a l’air inquiet et elle aimerait le rassurer. Elle connaît la scène par cour, depuis des années elle la joue dans la forteresse de son crâne, aujourd’hui elle est prête pour affronter les spectateurs.

Pendant quelques minutes, Lilie ne bouge pas, comme si des mains invisibles la retenaient. Puis, lentement, elle s’assoit sur une chaise et regarde, sur sa gauche. Elle se rappelle les nuages et la pluie. Son père lui parle de la pluie. Elle n’écoute pas, elle boude. Elle veut ses bonbons, elle doit réussir à convaincre son père. Ses pieds cognent le bord du siège, le bruit énerve son père qui lui dit d’arrêter. Il crie. Elle continue. Le tic-tac du clignotant résonne dans la voiture qui tourne lentement. Lilie ne voit pas où ils vont, la fenêtre est trop haute. Papa ne voulait pas s’encombrer du siège pour bébé.

Après la longue courbe, la voiture s’immobilise. Papa se tourne vers elle et lui dit : « Surtout ne bouge pas, je reviens tout de suite. » Mais Lilie a un plan, elle va attendre qu’il ait terminé de mettre l’essence et elle le suivra dans le kiosque. Elle connaît l’endroit, ses bonbons préférés se trouvent juste à côté de la caisse. Le monsieur du garage l’aime bien, Papa n’osera pas refuser. La pluie a redoublé de violence. Elle a peur toute seule dans la voiture. Quand il a fini de mettre l’essence, Papa lui fait un signe de la main. Sa chemise blanche est trempée, elle voit qu’il grelotte et tout à coup elle a envie de lui sauter dans les bras pour le réchauffer. Mais il est déjà parti. Lilie se tortille pour s’extraire de la ceinture de sécurité et se faufile entre les sièges pour atteindre la portière avant. Elle tire de toutes ses forces sur la poignée et lorsque la porte s’ouvre elle est projetée sur le sol.

Surtout ne pas pleurer.

La pluie masque le kiosque et Lilie ne sait plus où elle est. Elle reste assise par terre à regarder le sang qui s’écoule de sa blessure au genou. Le filet rouge se mélange aux gouttes d’eau et dégouline le long de sa jambe. Un bruit la fait sursauter. On dirait le bruit d’une casserole qui s’écrase sur le carrelage de la cuisine, mais en plus fort. Elle se cache derrière la voiture, elle tremble.

Papa va la gronder, elle a désobéi.

Alors elle le voit. Le monstre.

Sauf que c’est pas un vrai monstre, c’est quelqu’un déguisé en monstre. Il a un sac noir qui lui recouvre le visage et une sorte de grande salopette grise qui masque son corps. Il avance en boitant dans sa direction, oblique vers la colonne d’essence, saisit le pistolet et commence à gicler le liquide poisseux sur sa voiture. Lilie sort de sa cachette, elle pleure. Le monstre s’approche d’elle, la saisit par le devant de sa robe. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Sa voix est dure, il crache les mots avec ses dents qui se découpent dans l’ouverture du masque. Alors elle ose le regarder, elle voit ses yeux, deux billes de colère qui la dévisagent en ricanant. Le monstre la soulève, sa robe se déchire. Un rictus méchant tord sa bouche, il est tout près, Lilie sent son haleine de monstre. Il lui murmure « Attention petite fille, si tu parles, je te tue . »

Puis, comme s’il avait autre chose à faire, il la lâche et sort un objet de sa poche. Lilie est terrorisée, elle court en direction de la forêt qui se trouve de l’autre côté de la route. Elle entend l’explosion avant de voir les flammes. Recroquevillée derrière un arbre, elle lève les yeux, des millions d’étoiles dorées crépitent dans le ciel. Puis tout devient noir, fin de la scène. Rideau.