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Chapitre XIII |
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Épisode 056 |
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Robin alluma ses phares quelques kilomètres avant d’arriver chez Borel. Il aimait ce moment où la pénombre offre quelques minutes de répit avant que la nuit s’installe. Autour de lui, les champs semblaient animés d’une lumière propre, comme si des poussières de soleil s’étaient infiltrées dans les cultures. Un parfum de bien être le saisit dès qu’il entra. Robin n’aurait pas vraiment pu dire pourquoi. Le feu de bois, peut-être, ou l’odeur du chat qui sommeille en boule dans l’angle du canapé. - Alors Morales, vous semblez prendre goût à la campagne. Il avança vers lui en lui tendant une main accueillante. Ravi de vous revoir. Plus tard, assis à côté du chat qui avait posé une patte sur son pantalon, Robin lui parla du récit d’Aurélie. - Elle était fascinante. Sans prononcer un mot, elle a raconté une histoire. Une histoire de colère et de peur. Une histoire qu’elle a vécue et qui la hante depuis cinq ans. - Inspecteur, Aurélie avait trois ans au moment du meurtre de son père. Franchement, je doute qu’elle puisse se souvenir de quoi que ce soit. Ne vous emballez pas trop vite. Aucun tribunal n’accepterait ce genre de témoignage. - Vous avez raison, mais le tribunal aurait tort. Robin fit une pause et continua en fixant les flammes. - L’Aurélie de huit ans avait fait place à une toute petite fille qui se déplaçait à genou entre les meubles. Un fauteuil représentait sa voiture et le canapé, les arbres derrière lesquels elle s’était réfugiée. Entre les deux, un espace vide dans lequel a surgi un personnage masqué. Pour jouer ce monstre, Aurélie s’était redressée et se déplaçait en boitant, comme si ses jambes ne pouvaient pas la supporter. Soudain elle s’est immobilisée et a projeté son poing dans la bouche de la fillette imaginaire qui gisait terrorisée à ses pieds. Alors le monstre a disparu pour laisser la place à Lilie qui a couru se réfugier derrière le canapé. Borel bourra sa pipe et dit : - Imaginons que cette histoire soit vraie. Que nous apprend-elle sur l’identité du meurtrier ? Rien de nouveau. Ecoutez-moi, Morales, vous avez de la compassion pour cette fillette et je vous comprends, mais ne vous laissez pas guider par vos émotions, considérez les faits. - Justement, voici des faits. En sortant de la voiture elle est tombée et s’est blessée au genou. Alors qu’elle pleurnichait assise par terre, elle sursauta et courut se cacher derrière la voiture. - Et alors ? - En lisant l’expression de stupeur sur son visage, j’ai eu la certitude qu’elle avait entendu une détonation. Quelques instants plus tard, le personnage masqué entrait en scène. - Désolé, Morales, mais je ne vois pas du tout où vous voulez en venir. Borel se leva pour mettre une bûche dans la cheminée. Ses gestes maladroits trahissaient son agacement. Son ancien collègue s’était toujours méfié des ses intuitions, même si elles s’étaient souvent révélées exactes. - Aurélie aurait dû entendre deux détonations, une pour le pompiste, une pour Paolo. - Vous croyez vraiment qu’une petite fille de trois ans aurait fait la différence ? Robin se détourna du chat qui ronronnait sous sa main et dit : - Je lui ai demandé si elle était sûre de n’avoir entendu qu’un seul coup de feu. Sans hésiter, elle a hoché la tête en signe d’assentiment. Borel ne semblait pas convaincu. La gamine pouvait se tromper. Robin continua : - Lorsque Paolo est rentré dans le kiosque pour payer l’essence, le pompiste était déjà mort. Le meurtrier attendait sa victime, caché derrière le comptoir. Dès que Paolo s’est approché de la caisse, il a tiré a bout portant. Vous aviez raison, Monsieur, ce crime a été soigneusement prémédité. - Peut-être, mais ce n’est pas avec les divagations d’une gamine que vous allez le prouver. Le feu s’était éteint, mais Borel ne bougea pas pour le raviver. Un malaise s’était infiltré dans la pièce et Robin frissonna en regardant l’âtre mort. |
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