Chapitre XIII
 
     
 
Épisode 062
 
     
 

Il arrive chez Norbert à dix-neuf heures. L’entrée minable de l’immeuble sent le graillon et Raoul se demande pour la centième fois ce qu’il fout là.

Sa journée s’est mal passée. Il est allé deux fois à l’hôpital pour persuader Carmen de rentrer à la maison. Mais elle n’a pas semblé comprendre ce qu’il voulait. Elle l’a regardé avec son air de chien battu en hochant la tête. « Ce n’est pas moi qui décide, c’est les médecins. » Justement, il les a cherchés ces fameux médecins, mais il ne les a pas trouvés. L’infirmière responsable du service lui a fait comprendre que ces messieurs ont des horaires irréguliers et qu’il ne sert à rien de les attendre. Alors il est parti. Pourtant Carmen a l’air en forme. Demain, il l’obligera à le suivre et ils rentreront ensemble. Elle aura tout le temps de se reposer à la maison. Raoul avait hâte de retrouver la Mercedes.

En attendant, il doit supporter cet immeuble minable qui pue le pauvre. Norbert habite au quatrième étage. Sans ascenseur.

Arrivé devant la porte de l’appartement, Raoul rajuste son blouson et lisse ses cheveux. Norbert vient lui ouvrir en brandissant une spatule en bois dans sa main gauche. Un linge de cuisine maculé de sauce tomate tapisse son gros ventre comme un pansement fait à la hâte pour stopper une hémorragie.

– Entre, je t’ai préparé ma spécialité, spaghetti bolognaise à la mode Norbert. J’ai piqué la recette à ma femme. Une italienne pure souche. La bouffe c’est son rayon, c’est d’ailleurs le seul, si tu vois ce que je veux dire.

Suit un rire gras qui rebondit dans les oreilles de Raoul. L’appartement est minuscule. Trois pièces. Une seule chambre. L’ensemble est agréable. Des meubles simples en bois, un canapé lit dans le salon, une énorme télé. La cuisine est bien équipée et décorée avec goût.

– Chouette, hein ? Ma femme s’occupe de la décoration, elle adore acheter des bricoles pour l’appartement. Moi, je m’en fiche, je lui fais confiance.

Pendant la visite, Raoul remarque un ordinateur dissimulé derrière une plante, dans la chambre à coucher. Norbert a suivi son regard. « Ma femme planque l’ordinateur, elle le trouve encombrant et laid. Et elle déteste me voir rester des heures devant des jeux de baston. On se dispute régulièrement à ce sujet. » Raoul fait mine d’acquiescer, mais dès qu’il aura un moment il ira jeter un coup d’śil sur le disque dur de cette bécane.

Le repas est délicieux. Raoul se détend, il se sent bien dans cette petite cuisine qui transpire l’Italie. Après le café, Norbert sort la grappa et sert un grand verre à chacun.

– J’ai réfléchi à notre conversation d’hier. Tu as raison.

Raoul est mal à l’aise, il ne sait pas à quelle conversation Norbert fait allusion.

– Explique-toi.

Norbert avale une gorgée d’alcool et dit en regardant son verre.

– On pourrait faire un coup ensemble.

– Quel genre de coup ?

– On suit un pédé à la sortie d’un bar, on le coince au moment où il ouvre sa bagnole et on l’emmène faire une balade.

– Et après ?

Après, on le pose dans une forêt et on laisse la caisse avec quelques petits souvenirs au bord d’un fossé.

Raoul ne dit rien. Norbert lui tend un piège et il doit être assez malin pour jouer le jeu tout en faisant très attention. Il est victime des machinations d’un voyou qui veut casser du pédé. C’est ce qu’il dirait lorsqu’on l’interrogerait. « Norbert a tout manigancé, je n’y suis pour rien. »

Norbert se charge de régler les détails, ils prévoient de faire le coup dans deux semaines, rien ne presse.

Plus tard, recroquevillé sur le canapé, Raoul pense à Carmen. Finalement, elle peut rester encore quelques jours à l’hôpital, il s’amuse bien avec Norbert.