Chapitre XIV
 
     
 
Épisode 066
 
     
 

Raoul finit son bol de corn flakes et va le poser dans l’évier. Il hésite à le rincer puis renonce, Norbert s’en occupera en rentrant. Quand il lui a dit que Carmen ne sortirait pas avant plusieurs jours, il savait qu’il l’inviterait à rester chez lui. Evidemment, Norbert pourrait l’espionner à sa guise.

Raoul se dirige vers la salle de bain. Depuis deux semaines, il mange les mêmes corn flakes, boit le même vin bon marché, se douche dans la même baignoire pourrie. Une ouverture dans le mur de la salle de bain amène des odeurs de graillon venant des étages inférieurs. En entrant dans la pièce, Raoul retient sa respiration, se déshabille en vitesse et se précipite sous la douche tiède. Lorsque la buée camoufle les odeurs, il recommence à respirer.

Ils sont prêts.

Au début, Norbert a voulu imposer un plan ridicule, une histoire de mec qui demande son chemin à une lopette qui sort d’une boîte de nuit, mais Raoul lui a vite fait comprendre la faiblesse de son plan. Alors Norbert lui a demandé de préparer le coup. « Tu es plus malin que moi, tu as toujours des bonnes idées. »

Mais Raoul reste méfiant, il a dit plusieurs fois à Norbert : « Je veux bien organiser le coup, mais n’oublie pas que c’est toi qui en as parlé en premier. » Il doit assurer ses arrières, au cas où ça tournerait mal. Il ne doit jamais oublier le double jeu de Norbert.

Alors il passe ses journées à échafauder son plan. Le soir, pendant que Norbert prépare à manger, Raoul lui raconte ses dernières trouvailles. Mais il ne lui dit pas tout. Il ne lui parle pas de la fuite, de sa fuite, organisée jusque dans les moindres détails. Il lui parle du lieu, de l’heure, de la bagnole. Norbert est enthousiaste, Raoul est génial, il pense à tout.

Raoul sourit en attrapant la serviette de bain. Une eau froide et glauque stagne au fond de la baignoire mais Raoul s’en fiche, cet après-midi il ira chercher Carmen à l’hôpital et ils rentreront chez eux. Il a hâte de retrouver le confort de l’appartement des femmes.

Le magasin de fleurs se trouve à quelques centaines de mètres de l’hôpital. Malgré le froid qui transperce la veste empruntée à Norbert, Raoul est de bonne humeur. Il choisit un bouquet de jonquilles. C’est ce qu’il y a de moins cher et Carmen aime les fleurs jaunes.

Ces derniers jours, il n’est pas allé lui rendre visite. Il ne supportait plus ces couloirs sombres qui puent la mort. Il a prétexté une grippe. « J’ai dû attraper cette cochonnerie à l’hôpital. »

Carmen n’a rien dit ce qui l’a étonné. Depuis l’accident, elle s’est calmée. Elle a enfin compris qui est le chef.

Lorsqu’il lui a dit qu’il habitait chez un copain pour être plus proche de l’hôpital, elle n’a pas posé de questions. Bien. Raoul n’avait pas envie de parler de Norbert.

Le couloir de l’unité 5 CL est désert. Raoul se rend directement à la chambre 523. Quatre lits sont recouverts de housse en plastique. Les draps bleu-clair des deux autres laissent deviner les formes inertes de leurs occupantes. On dirait que l’odeur de détergent les a plongées dans un sommeil empoisonné. Son bouquet dans la main gauche, Raoul se dirige vers le lit de sa femme. C’est celui près de la fenêtre. Alors, il remarque la bouteille d’eau gazeuse. Carmen ne boit pas d’eau gazeuse, elle prétend que cela lui donne des ballonnements. Il se penche sur le lit. Une plainte s’élève des draps. La forme remue en gémissant et laisse entrevoir des cheveux gris sale. Raoul recule, écœuré. Il faut qu’il sorte d’ici, tout de suite.

De retour dans le couloir, il se calme. Carmen doit certainement l’attendre à la cafétéria. Raoul descend rapidement les escaliers. Dans sa course, il se trompe d’étage et lorsque dix minutes plus tard, il arrive à la cafétéria, c’est pour constater que Carmen ne s’y trouve pas.