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Chapitre XIV |
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Épisode 067 |
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– Je cherche ma femme. L’infirmière de garde lève les yeux de son classeur et dévisage Raoul. Il insiste. – Elle était dans la chambre 523, mais elle n’y est plus. Il a déjà vu cette grande femme bourrue. Stylos, ciseaux, thermomètres débordent des poches de sa blouse qui pendouille le long de ses cuisses. Elle prend une enveloppe sur son bureau et la tend à Raoul. – Votre femme est partie en début d’après-midi. Elle m’a demandé de vous remettre ceci. Raoul saisit l’enveloppe. La grosse le regarde avec un sourire narquois. Il va la buter. Une onde de haine le traverse, il s’approche, il va la buter. Mais il retient son geste et s’enfuit sans dire un mot. La bise glacée le calme. Il ouvre l’enveloppe. Une seule feuille et des billets. Il ne réalise pas tout de suite que c’est une lettre de Carmen. « Cher Raoul, Tu vas sûrement être fâché en lisant cette lettre. Ces derniers jours, au téléphone, j’ai essayé de t’en parler, mais tu changeais de sujet à chaque fois. Je te crois quand tu me dis que tu vas faire des efforts, que tu va redevenir l’homme dont je suis tombée amoureuse. Mais j’ai besoin de temps pour me remettre de l’accident. On ne peut pas recommencer à vivre comme si rien ne s’était passé. De ton côté, tu pourrais réfléchir à ce que tu as fait et te débrouiller pour trouver un autre travail et un appartement. Maria ne veut pas que tu reviennes vivre dans l’appartement des femmes et elle pense que la patronne ne le voudra pas non plus. Tant que tu n’as pas trouvé un nouveau travail, je garde ma place. On ne peut pas se permettre d’être les deux sans boulot. J’ai mis dans l’enveloppe cinq cents francs, c’est tout ce que j’ai pour le moment, mais donne-moi l’adresse de ton ami, je t’enverrai ce que je peux ces prochaines semaines. Appelle-moi quand tu auras des bonnes nouvelles à m’annoncer. N’oublie pas que je t’aime. Carmen P.-S. : N’en veux pas trop à Maria, elle s’inquiète pour moi, mais elle n’est pas méchante. » Pas méchante ! Tu parles ! Cette grosse vache a tout manigancé pour se débarrasser de lui et la pauvre Carmen s’est laissée embobiner. Elle le paiera. Raoul n’en revient pas. Incroyable ! Comment a-t-elle osé ? Le jeter dehors en lui faisant la morale. Salope. Raoul froisse d’un geste rageur la feuille de papier et la balance dans une haie avec les fleurs. Elles ne se débarrasseront pas de lui aussi facilement. En se retournant, Raoul aperçoit un jeune homme avec des béquilles qui le regarde. Alors, en croisant son regard, Raoul comprend qu’il est victime d’un complot. Carmen, Maria la patronne, Norbert, la grand-mère, ce boiteux, tout le monde est dans le coup. Ils veulent sa peau. Mais il est plus malin qu’eux, il ne se fera pas avoir par cette bande d’abrutis. La bise agite les branches des marronniers qui parsèment le trottoir de bourgeons. Raoul marche vite, il n’a pas de temps à perdre. Après avoir fait quelques achats, il se dirige vers l’appartement de Norbert. Il va devoir supporter cet endroit minable encore quelques jours, le temps de prouver à Carmen et à la patronne qu’elles se font manipuler par la cuisinière. Alors il retrouvera sa place dans l’appartement des femmes. Mais il n’a pas vraiment le temps de penser à tout ça, il doit se concentrer sur le coup. Tout est soigneusement prévu. Tout, sauf la victime. Un inconnu qui se trouvera au mauvais moment au mauvais endroit. L’idée de l’inconnu avait beaucoup plu à Norbert. « Excellent. Comme ça personne ne pensera à nous, aucun motif. » Parfois, Norbert était si convaincant que Raoul oubliait que c’était un flic. Un sacré comédien ce Norbert. |
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