Chapitre XV
 
     
 
Épisode 070
 
     
 

Maria se leva, alla chercher des fraises qui s’égouttaient dans l’évier, prit une planche pour les couper et revint s’installer à la table.

– C’est étrange, j’avais complètement oublié cet incident. C’est en entendant sa voix au téléphone que je me suis souvenue très précisément de ce repas. D’habitude, Madame Maudet est réservée, plutôt sévère, mais hier soir, elle paraissait joyeuse, sa voix riait, comme il y a cinq ans, avant que Paolo soit assassiné. A l’époque, les Calvi habitaient une petite maison jumelle dans un nouveau quartier. Parfois, Madame Claude me demandait de l’aider à la cuisine quand elle avait des invités. Ce soir-là, elle avait donné une grande réception pour l’anniversaire de Paolo. Il faisait très beau. Une magnifique soirée d’été. Des torches éclairaient les tables dressées dans le jardin. Après le repas, les gens se mirent à danser. Vous comprenez, Inspecteur, tout le monde avait beaucoup bu. Mais bien sûr cela n’excuse pas tout. Ils étaient assis à une table avec d’autres personnes. La discussion était animée, on parlait fort. Mais ces deux là ne parlaient pas. Je ramassais les bouteilles vides lorsque je vis leur jambes enlacées. On aurait dit un couple de serpents lubriques. Leurs chaussures gisaient sur l’herbe, la sandalette vautrée sur le mocassin. Vous comprenez, inspecteur, ce n’était pas juste se faire du pied. La jambe poilue entortillait l’autre comme si elle voulait l’engloutir, la posséder. C’est cette frénésie qui m’a choquée. Alors j’ai attrapé ma bouteille et je me suis relevée.

– Qui était autour de la table à ce moment-là ?

– Plusieurs invités. Mais à part nous, personne ne ramassait les détritus.

Maria était redevenue méfiante, il devait l’amadouer en jouant carte sur table.

– Maria, depuis des jours, j’analyse les rapports, j’échafaude des hypothèses, j’interroge des personnes qui ne m’apprennent rien ; bref, je stagne dans l’enquête d’un double meurtre. L’assassin est un proche de la famille, j’en suis certain. Un ami peut-être, ou une femme que vous côtoyez quotidiennement sans savoir que c’est un meurtrier. Il a déjà tué deux fois sans être inquiété, pourquoi pas un troisième meurtre ?

– Arrêtez, vous me faites peur. Elle fit une pause et continua en soupirant. C’était il y a cinq ans, il faisait sombre, les visages éclairés par des torches semblaient danser dans l’obscurité. Il y avait d’autres personnes à la table. Maria ferma les yeux et murmura. Philippe Montfort, toujours très élégant fumait un cigare, je venais de lui apporter un cendrier. En face de lui, Monsieur Maudet le regardait d’un air mécontent. Edouard Maudet a toujours détesté l’odeur de la fumée. Une femme blonde lui parlait avec des grands gestes, mais il ne l’écoutait pas. Légèrement en retrait, le docteur Forestier buvait une bière en compagnie d’une jolie brune. Madame Calvi était à l’autre bout du jardin, elle discutait avec une amie, je suis certaine qu’elle n’avait rien remarqué. D’ailleurs, nos regards se croisèrent et elle me fit un signe joyeux de la main. A ce moment là, j’ai détesté son mari, comment osait-il tromper une femme aussi merveilleuse ? Maria ouvrit les yeux. C’est tout. Mais vous pourriez demander à Carmen, elle était là, nous ramassions les bouteilles ensemble.

– Est-ce que vous pensez qu’elle a vu ce qui se passait ?

– C’est possible, mais je n’en ai jamais parlé avec elle. D’ailleurs, maintenant je me rappelle, elle s’est sentie mal pendant la soirée et quelqu’un l’a raccompagnée chez elle.

– Qui ?

– Je ne me souviens pas. Et maintenant, laissez-moi, je vais aller réveiller Lilie. Nous avons des gâteaux à faire. Je vous verrai ce soir, j’ai promis à Madame Maudet de l’aider pour le service.

Robin se leva, enfila sa veste et dit :

– Vous n’êtes pas une personne rancunière, Maria.

– Au contraire, inspecteur, je pardonne difficilement. Mais, Florence Maudet a été victime du charme latin de Paolo, il savait trouver les mots justes avec les femmes. Impossible de lui résister.

Robin n’insista pas et quitta l’appartement en se demandant pourquoi le visage de Maria s’était assombri en prononçant sa dernière phrase.