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Chapitre XVI |
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Épisode 074 |
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– Je ne sais pas ce que je deviendrais sans vous, Claude, vous pensez à tout. Edouard se tenait au milieu de la grande salle aménagée pour la vente. Il avait l’air content d’un seigneur qui aurait trouvé la perle rare. Claude s’en voulut pour l’ironie de cette pensée. Mais ces derniers jours, occupé à préparer son voyage, Edouard avait négligé la galerie et déchargé l’entière responsabilité de la vente sur ses épaules. Aujourd’hui, tout était prêt, la vente serait une réussite, comme toujours. Et comme toujours, les Maudet recevraient les félicitations des clients pour cette merveilleuse soirée. En faisant le tour des tableaux, Edouard ajusta les étiquettes qui indiquaient le numéro de l’œuvre. En arrivant vers Claude, il lui dit : – J’ai suivi votre conseil. Ce matin, j’ai modifié les réservations des hôtels. A la place, j’ai pris des hôtels de luxe réputés pour leur tranquillité. Florence pourra se reposer à son aise pendant que j’irai arpenter les musées. Claude acquiesça en silence et se mit à consulter la liste des invités. Une trentaine de personnes avaient confirmé leur présence ce soir. Ironie du sort, les noms de David et de Philippe se suivaient dans la liste. Les lettres imprimées semblaient la narguer en reflétant sa lâcheté. Depuis toujours, elle évitait les conflits. Cela ne pouvait plus durer. Ce soir, elle parlerait à Philippe, elle lui dirait pour David. Inutile de perdre du temps, elle ne voulait pas gâcher cette nouvelle chance d’être heureuse. La sonnerie du téléphone interrompit ses réflexions. Edouard, qui se trouvait à côté du combiné, répondit. Au ton condescendant que prit sa voix, elle comprit que c’était Porchet, le conseiller d’Etat du département de justice et police, un bon client de la galerie. – Bien sûr, Monsieur, comptez sur nous, la plus grande discrétion. Vous ne serez pas déçu, c’est un tableau magnifique, Friedrich est un artiste très recherché par les collectionneurs de peinture romantique allemande. – … – Aucune importance, nous vous attendrons pour le mettre en vente. Claude n’entendit pas la suite, elle avait à faire dans la cuisine. Le traiteur allait bientôt arriver, il fallait débarrasser la paperasse qui encombrait la table. Elle rangeait les derniers papiers quand Edouard fit irruption. Il semblait tout excité. – Monsieur Porchet a l’intention d’acheter le Friedrich. – Il a fait une offre ? – Non. Mais c’est un passionné de peinture romantique. Il connaît la valeur d’une telle oeuvre. Edouard continua de vanter les mérites du conseiller d’Etat, un homme de goût qui savait flairer les bonnes affaires. Claude ne partagea pas son enthousiasme. Peu de temps avant sa mort, Paolo avait placé une grosse somme d’argent pour Porchet. Plusieurs centaines de milliers de francs dont il avait refusé de dévoiler la provenance. Paolo avait insisté, il ne voulait pas travailler avec de l’argent sale. Finalement, c’était Philippe, le grand patron de la banque, qui avait repris l’affaire. Il ne voulait pas perdre un client aussi puissant. Paolo avait été écœuré pas la lâcheté de son patron. Un soir, il était rentré tard, du sang maculait le devant de sa veste. Paolo lui avait dit qu’il s’était disputé avec Philippe, qu’il détestait ces magouilles, qu’il songeait sérieusement à changer de boulot. Deux jours plus tard il se faisait assassiner. Claude soupira. Elle avait toujours évité de parler de cette dispute avec Philippe. Paolo était mort avant qu’ils aient eu le temps de se réconcilier et elle ne voulait pas l’accabler en ressassant ces vieilles histoires. L’arrivée du traiteur mit fin au bavardage de son patron. Claude vérifia les cartons et félicita le chef pour ses excellents feuilletés au fromage. C’était un homme charmant mais susceptible, autant s’assurer de la qualité de sa marchandise avec quelques compliments. D’habitude, Florence réceptionnait le buffet. C’était toujours le même rituel. Elle ouvrait les cartons avec vénération et le traiteur la regardait s’extasier devant ses salés avec un œil attendri. Mais aujourd’hui Florence n’était pas là et Claude remarqua la déception du gros homme. |
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