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Chapitre XVI |
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Épisode 076 |
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Confortablement installé dans son fauteuil de directeur, Philippe repensa à sa conversation avec Edouard. Il venait de lui annoncer que les membres du conseil d’administration avaient refusé le budget de deux cent mille francs pour l’achat de tableaux ; ils voulaient donner une image plus dynamique de la banque en demandant à un artiste en vogue une installation composée de néons et de structures plastifiées. Philippe connaissait Edouard depuis longtemps et il s’en voulait de lui faire rater une vente. Mais Edouard était resté calme lui assurant qu’il n’était pas responsable des états d’âme de son conseil d’adminstration. Il avait même insisté pour que Philippe vienne à la vente de ce soir, il comptait sur lui. Philippe lui avait répondu qu’il viendrait avec plaisir. En reposant le combiné, il était soulagé. Il se dit qu’Edouard avait plutôt bien pris la nouvelle. Des clients attendaient depuis un quart d’heure, mais Philippe ne les fit pas entrer. Il se sentait vieux et désabusé. Pendant des années, il avait cru diriger la banque idéale, celle qui mettait le client au centre de ses préoccupations. Celle qui respectait la sphère privée en toute légalité. Mais cette banque-là n’existait pas, c’était ce qu’il avait essayé de faire comprendre à Paolo quand il y avait eu le différent avec Porchet. Paolo s’était entêté, et lui aussi, alors ils s’étaient battus comme deux gamins dans une cour de récréation. En repensant à cette bagarre, Philippe ferma les yeux de honte et de tristesse. Il revoyait Paolo, le poing levé devant son visage baigné de colère, il l’avait menacé, il allait tout raconter, porter l’affaire devant les juges qui trancheraient. Deux jours après, Paolo s’était fait assassiner. La sonnerie de l’interphone le fit sursauter. Sa secrétaire s’inquiétait, ses clients commençaient à montrer des signes d’impatience. Philippe se leva, ajusta sa cravate et alla ouvrir. Deux hommes entrèrent. Avec eux les politesses usuelles étaient inutiles. Ils puaient l’argent sale, mais depuis longtemps Philippe avait perdu l’odorat. ***Il prit la bouteille et alla la vider dans les toilettes. La journée n’était pas terminée, il devait faire un effort, résister à la tentation d’une dernière gorgée. Le liquide brunâtre tournoya dans la cuvette puis disparut. Il n’était pas très courageux, il ne l’avait jamais été. Il était faible et alcoolique. David se secoua, inutile de s’apitoyer sur son sort, mais l’alcool le rendait mélancolique. La discussion avec Philippe l’avait bouleversé. Avec ses patients il arrivait à prendre des distances, le fardeau du malheur des autres était trop lourd à porter. Mais Philippe n’était pas un patient, c’était un ami. Et David ne voulait pas gâcher cette amitié. Il avait hésité à l’appeler après leur dispute, mais à chaque tentative, il avait renoncé. Par fierté. Ou plutôt par stupidité. Oui, il était stupide. Il prit le téléphone et composa son numéro. La ligne était occupée, il rappellerait plus tard. Mais il ne rappela pas. |
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