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Chapitre XIX |
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Épisode 088 |
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Robin enfonça plus profondément les mains dans les poches de son pardessus. Il était frigorifié. Les pieds surtout. Le cuir de ses souliers avait bu l’eau des pavés et à chacun de ses pas, un bruit de succion résonnait dans la nuit, comme si les chaussures étaient en train d’engloutir ses pieds. En arrivant devant l’immeuble des Maudet, il fit une pause. La lumière diffuse d’un lampadaire éclairait la façade austère. Les stores étaient soigneusement descendus, les habitants calfeutrés dans leurs luxueux appartements ignoraient cet intrus, ils appartenaient à un monde chaud et soyeux. Un monde dans lequel on taisait les mauvaises nouvelles. Robin hésita. Il était presque minuit, il pourrait l’interroger demain. Oui, il pourrait l’interroger demain. Pourtant quelques minutes plus tard, il appuya sur la sonnette. Il songea que Porchet serait furieux en l’apprenant. Florence sursauta, qui pouvait venir à une heure pareille ? Edouard avait peut-être oublié ses clés. Prétextant une migraine, elle était rentrée avant lui. Elle voulait récupérer la lettre avant qu’il ne la trouve. Richard l’avait abandonnée. Tout était de sa faute, elle n’avait pas su lui montrer à quel point elle l’aimait. Mais est-ce qu’elle l’aimait vraiment ? Florence frissonna, elle se sentait misérable, sa valise contenant ses précieuses affaires qui devaient assurer sa fuite de petite bourgeoise, s’était envolée avec ses espoirs de midinette. Richard l’avait bien eu, depuis le début il voulait son fric. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Une vague de colère la submergea en pensant aux belles paroles débitées par cet hypocrite. Deuxième sonnerie, plus insistante. Puisant de l’énergie dans sa colère, Florence se redressa et alla ouvrir. Sa première impression fut que le corps de l’inspecteur était en train de fumer. Il se tenait immobile dans l’embrasure de la porte, mais il était auréolé d’une brume blanchâtre qui cherchait à pénétrer dans son appartement. Puis l’impression se dissipa, la buée se résorba et Florence croisa le regard de l’inspecteur. – Que voulez-vous ? – Il faut que je vous parle. – Edouard n’est pas encore rentré. Florence sentit ses forces l’abandonner, sa colère avait fait place à la panique. Elle se détourna, et la voix de l’inspecteur lui parvint assourdie : – Cela n’a pas d’importance, c’est vous que je veux voir. A regret, Florence s’écarta pour le laisser entrer. En l’escortant jusqu’au salon, elle lui demanda. – Que voulez-vous ? Sa voix chevrotante transpirait la culpabilité et elle se dit qu’elle ferait mieux de se taire. Inutile de s’enfoncer. – Le corps d’un homme a été découvert dans une ancienne décharge. Il a été tué d’une balle tirée à bout portant. Pas de portefeuille, photos, documents, clés de voiture qui permettraient de l’identifier. Des habits élégants pour un cadavre anonyme. Florence était anéantie. Son esprit avait pris le large, elle était incapable de penser. Elle se tenait immobile, elle attendait la suite. L’inspecteur continua : – Le visage de l’homme ne m’était pas inconnu. Je l’avais déjà vu mais j’étais incapable de me souvenir où. Alors j’ai attendu que le cadavre soit exposé en pleine lumière à la morgue et là, sous les projecteurs, je me suis rappelé. Cet homme était au gala de charité il y a trois semaines. – Et alors ? – Alors j’ai pensé que vous pourriez m’aider à l’identifier. Comme elle ne disait rien, il continua. Ce soir-là, en traversant la salle vous avez eu un malaise et un homme s’est précipité pour vous aider. Sur le moment, son visage m’a frappé, il semblait décalé dans cette assistance plutôt guindée de soirée mondaine. Il était plus… vivant. Oui, vivant. Quelle ironie. Aujourd’hui, cet homme est mort, et vous allez m’aider à trouver qui l’a tué. Florence ne répondit pas, elle s’effondra et éclata en sanglots. Robin s’éloigna et se planta devant la fenêtre. Dehors, le brouillard avait pris possession de la rue. Il aurait voulu se laisser emporter par ce masque blanc, oublier quelques instant ces meurtres qui rythmaient sa vie comme des danseurs maladroits. Bientôt, les sanglots de Florence s’espacèrent pour faire place à des gémissements de petit animal blessé. Robin se détourna du spectacle de la nuit, il était épuisé mais incroyablement lucide. – Vous le connaissiez, n’est-ce pas ? |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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