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Chapitre XX |
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Épisode 091 |
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Il avait mal au ventre. Sa femme l’avait pourtant prévenu : «Martin, arrête de te goinfrer, tu vas être malade ! » Mais il ne l’avait pas écouté. C’était son anniversaire, toute la famille était réunie, il n’allait pas se priver sous prétexte que son patron l’avait collé pour le service de nuit. Il appuya rageusement sur l’accélérateur en pensant à son chef. Dans trois mois, il serait à la retraite. Le jour de son départ, il lui sortirait ses quatre vérités. Depuis dix ans, il attendait ce moment. Il n’aurait pas dû travailler aujourd’hui, il avait réservé sa journée pour la fête. Mais cette ordure lui avait téléphoné ce matin. « Mon cher Martin, désolé de vous déranger, mais… » Et bien sûr, il avait accepté. Il n’avait pas eu le choix. Heureusement, tout cela serait bientôt terminé. En pensant au voyage qu’il allait faire avec sa femme dans les îles, il se détendit. C’était une surprise, elle n’était pas au courant. Avec leurs quatre enfants, ils n’avaient guère eu le temps de penser à eux. Maintenant, ils méritaient de prendre un peu de bon temps. La pluie avait recommencé à tomber. Des grosses gouttes à la limite de la neige. Martin pesta. Les essuie-glaces laissaient des traînées sur le pare-brise, il avait oublié de les faire changer, il le ferait demain, sans faute. L’autoroute était déserte. Les phares de son camion éclairaient le bitume qui scintillait sous l’assaut de la pluie. Martin n’aimait plus conduire la nuit. Sa vue baissait. Il avait de la peine à distinguer les courbes de la route. Surtout dans les tunnels avec les éclairages jaunes. Et surtout ce soir, avec son mal de ventre. Les crampes empiraient, il allait devoir s’arrêter pour reprendre son souffle et essayer de vomir. Mais on ne s’arrêtait pas sur l’autoroute avec un camion citerne de quarante tonnes. Il connaissait bien le trajet jusqu’à Bellegarde, il prendrait la prochaine sortie puis suivrait la nationale. Il n’aimait pas changer ses itinéraires, mais il ne voulait pas prendre de risques. Le client attendrait. Lorsque Martin mis son clignotant pour sortir de l’autoroute, il se sentit mieux. Les crampes diminuaient, il respirait normalement. C’est en sifflotant qu’il alluma la radio. La voix de Serge Lama s’engouffra dans la cabine. Martin sourit en augmentant le volume, il adorait cette chanson. ***Il avait cru que la vente ne finirait jamais. Le public était enthousiaste, il avait serré des dizaines de mains. Les gens l’aimaient. Il avait du charisme et du goût, c’était un homme raffiné. Sa réussite sociale couronnait des années de travail. Il méritait ce succès. Et ce n’était pas une stupide histoire de téléphone portable qui allait bouleverser son ascension. Il allait récupérer le téléphone oublié dans la voiture de Fortis et ensuite il rentrerait chez lui. Dans la grande salle quelques personnes étaient encore en train de converser autour du buffet lorsqu’il se retira. Personne ne fit attention à lui. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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