Chapitre XX
 
     
 
Épisode 092
 
     
 

Sa voiture était garée tout près. Il la dépassa puis revint sur ses pas en scrutant les alentours. Le froid s’infiltrait dans ses habits trop légers pour une balade nocturne. Le mauvais temps jouait en sa faveur, les gens marchaient vite, les yeux rivés au sol pour éviter d’exposer leur visage à la pluie. Ils étaient pressés de rentrer chez eux. Pressés d’oublier cette solitude qui régnait sur la nuit glaciale.

Le cuir crissa lorsqu’il se laissa tomber sur le siège. Il démarra le moteur et attendit. Sa jambe lui faisait mal. Mais pas seulement sa jambe. Tout son corps semblait enflammé, comme s’il se révoltait contre cette expédition. Il avait laissé la Jaguar de Fortis au nord de la ville, dans le parking d’un entrepôt reconverti en discothèque. Un endroit mal famé fréquenté par des paumés. La police les laissait se défoncer. Elle avait assez à faire avec les dealers qui sévissaient en ville. Personne ne ferait attention à lui.

Il respira lentement. Ce n’était pas le moment de faire une crise d’angoisse. Il devait agir, et agir vite. Avec la ventilation la buée sur le pare-brise s’estompa. Il enclencha les essuie-glaces et mit la radio. La voix puissante de Serge Lama se déversa dans l’habitacle comme une marche funèbre. Agacé, il coupa le son et manœuvra avec précaution pour sortir de la place. Ce n’était pas le moment de se faire remarquer.

Au fil des kilomètres, le bitume noyé sous la brume semblait lui indiquer le chemin à suivre. Il traversa rapidement la ville et se retrouva sur une grande route qui traversait une zone industrielle dans la banlieue nord. Il détestait ce quartier. Des bâtiments bon marché côtoyaient des garages désaffectés envahis par des squatters qui prétendaient défendre une culture alternative. Cet hypocrite de Porchet tolérait leur présence, soulagé de laisser s’exprimer la violence en dehors des murs de la cité.

Il était presque arrivé. Le bâtiment en tôle ondulée émergeait au milieu d’un immense parking. Un groupe de jeunes avait transformé une ancienne usine en discothèque. Un must pour les personnes en mal de rencontres. On venait ici pour s’éclater sans distinction de race, d’âge, de sexe. L’endroit était vite devenu populaire. Au début, les flics avaient tenté de sanctionner les dealers et de chasser les camés, mais ils avaient vite abandonné. Il les avait vus une fois, quand il était venu seul boire un verre, curieux d’examiner cette frange de la société qu’il fuyait comme la peste. Ces gens laids, sales et vicieux. Des gens qui ignoraient la beauté et se vautraient dans l’ignorance de leur vie d’abrutis.

Des dizaines de voitures s’enchevêtraient dans la boue du parking. En zigzaguant entre elles, il eut un instant de panique. Et s’il restait bloqué dans cette gadoue ? Sa voiture n’était pas équipée pour ce terrain détrempé.