Chapitre XX
 
     
 
Épisode 093
 
     
 

Une fois de plus, il se félicita d’avoir gardé les clés de la Jaguar. Dire qu’il avait failli les jeter dans un container avec la valise de Florence ! Il ne voulait surtout pas se faire remarquer en déclenchant une alarme. Il soupira et se cramponna à son volant. Bientôt, tout serait terminé. Ses phares transpercèrent l’écran de pluie à la recherche d’un passage qui lui permettrait d’accéder à la Jaguar. Il avançait lentement, le visage collé au pare-brise, fouillant le brouillard qui semblait narguer la lumière.

Il le vit au dernier moment. Un trou béant surgi pour le piéger. Pendant un instant, il jubila, les roues avant étaient passées, alors la voiture capota puis s’immobilisa. Il aurait pu l’éviter, mais plus maintenant.

Maintenant c’est trop tard.

Le moteur cale, puis redémarre. Il sait qu’il doit rester calme, ne pas mettre de gaz pour éviter de s’embourber encore plus profondément. Mais la panique s’empare de sa raison et il enfonce l’accélérateur. Un bruit aigu de scie circulaire résonne dans l’habitacle, puis plus rien. Machinalement, il essuie une goutte de transpiration qui coule le long de sa joue. Il n’y a plus rien à faire. Alors il entend des rires fuser à travers la pluie. Il les voit dans le rétroviseur. Trois jeunes chevelus qui lui font des signes en pointant l’arrière de sa voiture. Ils sont ivres, ils vont l’attaquer, le dépouiller. Un d’entre eux frappe à sa fenêtre. Il descend la vitre et attend, résigné, vidé. Autant en finir. Rapidement.

Des yeux brillants se découpent dans un visage maquillé. La bouche vulgaire s’ouvre, immense, puis elle parle, mais il ne comprends pas, alors elle répète.

– Eh Papi, t’es méchamment coincé. T’en fais pas, on va t’aider à sortir de ce trou, on voudrait pas que ta vieille se fasse du mouron.

Il ne comprend pas ce que ce gars lui raconte, pourquoi voudraient-ils l’aider, lui qui représente tout ce qu’ils méprisent ? Pourtant, quelques secondes plus tard, il quitte le sol, porté par des bras vigoureux et des rires imbibés. Il veut les remercier mais il n’ose pas, il a peur qu’ils reconnaissent cet homme élégant coincé dans sa grosse BMW. D’ailleurs, le groupe s’est déjà éloigné et s’engouffre dans une vieille Volvo. Alors il se remet en marche et avance lentement. Il se gare à côté de la Jaguar. La pluie a cessé et, les yeux fermés, il écoute le sifflement de sa respiration qui trouble le silence de la nuit. Il ne s’en rend pas compte, mais il sourit. La chance est avec lui. La main crispée sur la clé de la Jaguar, il reprend confiance. Il a eu tort de s’abandonner à la panique. Heureusement, maintenant tout est rentré dans l’ordre. La buée tapisse l’intérieur de la BMW, mais il ne le remarque pas. C’est le froid qui le sort de sa somnolence. Il se décide à sortir. La portière est si lourde, il doit s’arque bouter pour l’ouvrir. Finalement, il se dirige vers la Jaguar. Ses chaussures en alpaga prennent l’eau, il regarde ses pieds englués dans la boue et détourne le regard, écœuré.

Les phares de la Jaguar s’éclairent au moment où il active la télécommande. La voiture semble l’inviter à faire une balade. Mais il veut seulement récupérer le téléphone et partir retrouver le confort de ses habitudes. Il se souvient l’avoir mis dans le compartiment à côté du siège passager. Ses yeux mettent quelques secondes à s’adapter à l’éclairage cru de l’habitacle et ses mains pressées bousculent maladroitement les objets blottis dans le compartiment. Pièces de monnaie, grattoir, stylos. Pas de téléphone. Finalement, il le trouve. Il jubile. Il a réussi. Maintenant, il peut rentrer.

A l’instant où il referme la portière, il sent une douleur exploser dans le bas de son dos. Puis plus rien. Juste un froid visqueux qui rampe sur son visage. La boue. La boue a jailli du chemin et s’est collé sur son visage.

C’est au moment où il réalise qu’il est couché par terre qu’il perd connaissance.