Chapitre XXI
 
     
 
Épisode 094
 
     
 

– Tu ne crois pas que j’y suis allé un peut fort ?

Raoul regarde Norbert avec une pointe d’admiration. Il a tabassé ce type sans hésiter. Un grand coup dans les reins avec une batte de base-ball. Beau travail. Mais ce n’est pas pour ça qu’il l’admire. Il l’admire pour son jeu d’acteur. Malgré sa vigilance, Raoul n’a pas réussi à le coincer. Norbert est resté fidèle à son rôle de gentil gars un peu simplet.

Ces derniers jours, pendant son absence, Raoul a fouillé son appartement et inspecté le disque dur de son ordinateur, mais il n’a rien trouvé de suspect. Juste le reflet de ce que Norbert paraît être, un mec sympa avec un faible pour les histoires de baston. D’ailleurs, c’est ce qui a conforté ses doutes. Un mec normal ne serait pas aussi régulier. Décidément, Norbert est un bon flic, mais il manque d’imagination. Heureusement, lui en a à revendre. Il a minutieusement préparé leur coup. Si ça tourne mal, Norbert sera le seul responsable. Il imagine déjà ce qu’il racontera à l’inspecteur : « Je croyais que Norbert était mon ami, il m’a hébergé, soutenu dans ces moments difficiles. Quand il m’a proposé d’aller dans cette discothèque, je ne me suis pas méfié, il a trahi ma confiance en manigançant ce sale coup. »

Raoul regarde l’homme affalé à ses pieds. En découvrant l’élégant costume couvert de boue, il réalise qu’il se sont trompés de cible. Ils veulent casser de la lopette bon marché, pas du pédé des beaux quartiers, c’est beaucoup trop risqué. Le visage de l’homme repose dans l’eau saumâtre. Un filet de bave s’écoule de la bouche entrouverte. Instantanément, ce détail le met en colère. Il se souvient. Son père bavait. Dès qu’il enlevait sa ceinture pour le battre, de la bave épaisse, jaunâtre, dégoulinait du coin de sa bouche. Alors il frappe l’homme à terre comme son père le frappait. Des coups de pieds dans les couilles, par derrière.

– Hé, ça suffit. Aide-moi à le porter, on l’embarque.

Norbert lui sourit. Il continue de jouer son rôle de mec sympa. Raoul se calme. Il doit garder son sang froid, ne pas se laisser déborder par ses pulsions. Pourtant, en regardant ce corps affalé en train de bouffer la boue, il a envie de l’achever à mains nues. Ses beaux habits et sa caisse de luxe devraient lui appartenir, il le mérite. Alors, les yeux brillants, il dit à Norbert :

– Prenons sa Jaguar, on va bien s’amuser.

Mais Norbert n’a pas l’air de trouver ça drôle du tout. Il va craquer. Le petit flic va enfin sortir de son trou.

– Ce n’est pas ce qui était prévu. Je ne veux pas courir le risque que ma bagnole se fasse repérer.

– Ne t’inquiète pas, le parking est plein et il le restera pendant plusieurs heures. Nous reviendrons bien avant. Tu ne vas pas cracher sur un petit tour en Jaguar ?

Raoul est persuasif, il s’est rapproché tout près de Norbert qui soupire en hochant la tête.

– D’accord, mais on traîne pas.