Chapitre XXI
 
     
 
Épisode 095
 
     
 

Alors, Raoul saisit le visage de Norbert dans ses mains et l’embrasse sur la bouche. Il se sent fort, invulnérable. Il lui murmure :

– Tu ne le regretteras pas.

Norbert est ravi, il veut le retenir pour lui rendre son baiser. Mais Raoul le repousse.

– Plus tard. Occupons nous de lui. Prends sa clé de bagnole.

L’homme recouvert de boue visqueuse est difficile à porter, il glisse. Finalement ils le couchent sur la banquette arrière. Norbert se met au volant et introduit la clé de contact. Au moment où le moteur démarre, un piano hurle dans les hauts parleurs. Les notes se déchaînent comme les perles d’un chapelet qui aurait perdu la foi. Raoul déteste la musique. Il cherche le bouton du volume, mais il fait noir, il ne voit pas les commandes alors il cogne au hasard dans l’acajou précieux du tableau de bord. Enfin, il se redresse, et dit :

– Foutons le camp d’ici. Et n’allume pas les phares, attends d’être sorti de ce foutoir.

Norbert conduit prudemment. Arrivé sur la route principale, il allume les phares. Le brouillard diffuse une lumière glauque qui semble les protéger des attaques du monde extérieur. Pour se calmer, Raoul compte les voitures qui roulent en sens inverse. Mais, dès qu’ils sortent de la zone industrielle, les routes sont désertes. Le siège en cuir de la Jaguar l’accueille avec douceur. Il est confortablement assis, et, en fermant les yeux, il imagine ce que serait sa vie avec cette bagnole de luxe. Norbert lui assène une grande tape sur l’épaule.

– Hé, réveille toi, ce n’est pas le moment de roupiller.

Raoul lui en veut de l’avoir sorti de sa rêverie. Il lui dit :

– Fous-moi la paix, je réfléchis.

– C’est ça. Redescends sur terre et explique-moi ton plan.

Le petit flic commence à avoir la trouille. Raoul prend son temps avant de parler.

– On va rouler encore un peu et après le prochain bled, on prendra à gauche, en direction du Rhône. Personne ne s’aventure là-bas. Trop sombre, trop dangereux.

Norbert se dandine sur son siège, il a besoin de pisser. Il veut s’arrêter. Raoul le regarde avec mépris et lui dit en mettant la main sur son sexe :

– Tu tiendras bien encore cinq minutes, c’est la trouille.

– Je n’ai pas peur, mais regarde la gueule du gars, il a eu son compte, inutile d’en rajouter. Retournons chercher ma bagnole on laissera la Jaguar près de la discothèque.

– T’inquiète pas, nous allons rentrer. Mais pas tout de suite. Il se retourne vers le corps gluant écroulé sur la banquette arrière et lui dit :

– Alors, elle te plaît la balade ? Confortable la banquette ? Trop sombre ? C’est vrai qu’on manque de lumière, attends, j’allume, j’ai envie d’admirer ta petite gueule de lopette.