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Chapitre XXI |
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Épisode 096 |
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C’est la lumière qui le sort de l’inconscience. Une lumière crue, désarticulée, une lumière qui l’oblige à détourner la tête. Mais, il se retient. Surtout ne pas bouger, ne pas montrer un signe de vie. Imperceptiblement, ses mains agrippent l’accoudoir. Mais Raoul ne remarque rien, il est concentré sur le visage de l’homme affalé. La boue a séché, laissant des vilaines croûtes brunâtres autour des yeux, les cheveux emmêlés ont perdu leur couleur, la bouche est agitée de soubresauts obscènes, et pourtant il le reconnaît. Alors, à cet instant précis il sait qu’il va le tuer. Tout simplement parce qu’il n’a pas le choix. Il le regarde plus attentivement. Il détaille ses habits, ses chaussures. Il continue de lui parler, calmement. T’as fait quoi à ta godasse ? Tu triches, tu te trouves trop petit ? Ah non, je comprends, une semelle compensée, une seule. Un petit défaut de fabrication. Il se rapproche, le touche, lui murmure à l’oreille. Difficile d’accepter de ne pas être parfait. Rassure-toi, après ce que je vais te faire, tu n’auras plus rien à craindre. En entendant ces mots, Norbert réalise que son ami est fou. Il va tuer ce mec, ensuite les flics les arrêteront, il sera accusé de complicité de meurtre et il finira sa vie en prison. Et ça jamais. Il a juste voulu s’amuser un peu, épater Raoul par son audace, pour une fois qu’il a un ami. Mais il n’a pas prévu la folie de cet ami. Norbert agrippe le volant, se concentre sur la route. Surtout ne pas montrer sa peur, rester calme. Mais lorsqu’il parle, il ne reconnaît pas sa voix. Une voix de pédé. Qu’est ce que tu vas lui faire ? Le tuer. Je connais ce mec. Il n’y a pas d’autre solution. T’es dingue. Il ne t’a même pas vu. Et c’est qui ce gars ? Edouard Maudet. Riche propriétaire d’une galerie d’art. Je travaille parfois pour lui les soirs de vernissage. Un homme prétentieux obsédé par ses tableaux. Il s’adresse au corps inerte. Tu fais moins le malin maintenant. Norbert se retourne furtivement et voit avec horreur, le canon d’un pistolet pointé sur la tempe du mec. Surtout rester calme. Il dit : On va le larguer par ici, avant qu’il se réveille, ensuite, on rentrera. Ne t’en fais pas. Si les choses tournent mal, je demanderai à ma femme de nous couvrir, on ne risque rien. Pose ce pistolet. Raoul se détourne du corps inanimé et se penche vers Norbert. Tiens, tiens. On se réveille enfin. Bas les masques. Le petit flic sort de sa coquille. De quoi tu parles ? Tu crois que je n’ai pas compris ton petit jeu. Tu as voulu me piéger, dès le premier jour. Mais je ne suis pas tombé dans le panneau. J’ai fait semblant de te suivre dans tes délires, pour voir jusqu’où tu irais avant de craquer. Maintenant, j’ai vu. Je ne comprends pas ce que tu dis, je voulais juste que tu sois mon ami. Norbert s’éloigne de Raoul et se concentre sur la route, il ne veut pas montrer ses yeux brillants, le tremblement de ses lèvres. Il doit résister à la terreur qui menace de se déverser en larmes de honte. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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