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Chapitre XXI |
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Épisode 097 |
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Couché sur la banquette arrière, Edouard fait le mort. Mais il est bien réveillé. Et il n’a pas peur. Son cerveau fonctionne à toute vitesse. Il avait presque réussi. Une fois le téléphone récupéré, personne ne l’aurait soupçonné. Mais il a fallu qu’il tombe sur ces deux idiots. Comble de malchance, un des deux le connaît. Quel gâchis. Sa tête lui fait mal, les maigres résidus de sa vie éclatée s’agglutinent derrière ses tempes en grosses boules de souffrance. Il aimerait étirer ses membres meurtris. Il est fatigué. Autant en finir tout de suite. Pourtant, il ne bouge pas. Il écoute. Raoul dit : Tu ne vas quand même pas te mettre à chialer. Je te croyais plus courageux. Je ne suis pas un flic, je suis ton ami. Il continue d’une voix suppliante. Alors pose ton flingue et rentrons. Raoul n’hésite qu’un instant, il appuie le canon du pistolet sur la tempe de Norbert et lui dit : Tu m’agaces avec tes pleurnicheries. Je suis très déçu. Je t’en prie, Raoul, pose ton flingue. Mais Raoul n’entend plus, il est avec son père, il a dix ans. Son vieux caresse son arme. Des gestes lents. Il effleure le canon, s’attarde sur la crosse, il murmure des mots tendres au pistolet abandonné au creux de sa main. Ses doigts agiles fouillent dans la boîte en carton. La balle brille dans la lumière de la cuisine. Une seule balle. Il fait tourner le barillet en riant. Le vieux aime jouer. Alors il se retourne vers lui, vers ce fils qui va payer pour tous les ratages de son existence. « Viens, prouve-moi que t’as des couilles, espèce de mauviette. » Il est terrorisé, mais il ne recule pas, il s’assoit et ferme les yeux. Il retient ses larmes, il n’est pas une mauviette. Son père s’approche, colle le canon du pistolet contre sa tempe et tire. Raoul est mort. Non, pas cette fois. Ni la suivante. Un soir, un copain de son père arrive à l’improviste. Son père est sorti, mais il insiste pour l’attendre. La boîte de balles est restée sur la table de la cuisine. Raoul lui dit de ne pas y toucher, mais le mec le repousse et examine les balles. Alors il se met à rire, un rire qui couvre le bruit des pas de son père qui débarque dans la cuisine. « Qu’est-ce qui se passe ? » Le rire cesse. D’un coup. « Des balles à blanc, t’as fait peur au môme avec des balles à blanc ! Y a de quoi se marrer, non ? » Il n’avait jamais revu le copain. Depuis ce jour là, plus personne n’est venu à la maison. Raoul, fais pas le con, pose ton flingue. La voiture ralentit. Le petit flic a peur, il gémit comme une femme. Mais Raoul ne se laisse pas attendrir et lui crie : Accélère ! Cramponné à son volant, Norbert le regarde en tremblant et dit : Il faut absolument que je pisse. Maintenant Raoul, arrête tes conneries et pose ce flingue. Il grimace un sourire et ajoute. T’oseras jamais tirer. Les mêmes mots. Ceux que son père lui a craché au visage, juste avant de mourir. La veille, Raoul avait acheté des balles, des vraies, à un pote de son vieux. L’idiot lui avait donné la marchandise sans hésiter, il connaissait Raoul, c’était un brave môme. En rentrant, le brave môme avait mis les balles, les vraies, dans le barillet, les six. Raoul n’avait pas tremblé en posant le canon du pistolet sur la tempe de son père. Il ne voulait pas le tuer, juste lui faire peur. Alors son vieux avait ri en disant : « T’oseras jamais tirer. » Mais il avait osé. Il se souvient du bruit assourdissant de la détonation puis du silence. Et du rouge. Sur le carrelage de la cuisine. Il regarde Norbert, ses doigts agrippés au volant ressemblent à des crochets de boucher. Il veut juste lui faire peur pour qu’il avoue son double jeu. Mais ses pleurnicheries l’agacent, il va lui donner une leçon. Il tire presque par hasard, comme si ses gestes lui échappaient. Un bruit de verre cassé. Une vitre, à l’arrière. Norbert sursaute et se met à hurler. T’es dingue, tu as failli me tuer. |
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© Cousu Mouche, 2007-2008, tous droits réservés. |
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