Chapitre XXII
 
     
 
Épisode 099
 
     
 

La petite pièce sentait le renfermé. Une odeur écœurante. Martin chercha la fenêtre pour l’ouvrir, il avait besoin d’air. Mais ici, pas d’ouverture sur le monde extérieur, juste une table et quelques chaises, une salle d’interrogatoire, comme dans les films.

En quarante ans de route, il n’avait jamais provoqué d’accident. Il était connu pour sa prudence. D’ailleurs ses collègues le charriaient souvent pour ses excès de zèle.

Ce soir, il avait eu la poisse, c’est tout. Ce n’était pas de sa faute. Pourtant, les flics ne semblaient pas convaincus de son innocence. Ils l’avaient immédiatement emmené pour l’interroger et depuis, il attendait.

La porte s’ouvrit et trois hommes entrèrent. Martin se leva et se rassit. Il était encore sous le choc. Tout s’était passé très vite, mais il n’oublierait jamais les hurlements. Au moment de l’explosion, ou avant, tout s’embrouillait.

L’homme en noir assis à sa droite lisait un texte en le fixant. Il parlait d’avocat, de droits, mais les mots glissaient dans son esprit confus comme vidés de toute signification.

– Vous avez compris ce que je viens de vous dire ?

L’homme s’était rapproché, il insistait. Mais Martin s’écarta, il n’avait besoin de personne pour le défendre. Il n’était pas coupable.

La porte se rouvrit au moment où il commençait à parler. Un gars qui semblait sorti d’une machine à laver entra avec fracas dans la pièce. Martin regarda, fasciné, les gouttes d’eau s’évader de son imperméable et atterrir sur le linoléum dans un bruit de tache humide. Il lui tendit la main en disant :

– Inspecteur Morales. Désolé de vous avoir fait attendre. Il s’adressa à l’homme en noir : « Sergent, allez cherchez un thermos de café. »

Son regard se reporta sur Martin et il continua avec compassion :

– Vous devez être bouleversé.

Martin se laissa tomber sur le dossier de sa chaise et détourna les yeux. Il sentait des picotements taquiner ses paupières. Il se redressa en refoulant ses larmes.

– Oui, bouleversé. Il pleuvait, mais mes phares étaient allumés et j’étais garé sur une place d’évitement. La route était déserte. D’habitude je prends l’autoroute, mais aujourd’hui, j’étais malade, alors j’ai préféré la nationale. Pour pouvoir m’arrêter si nécessaire. Martin continua très vite. L’estomac. Ma femme m’avait prévenu, mais je ne l’ai pas écoutée. Je voulais profiter de la fête.

– De la fête ?

– Pour mon anniversaire. Il ajouta, très vite. Mais je n’avais rien bu, je ne bois jamais avant de conduire. C’est la nourriture, trop de nourriture.

Robin tendit sa tasse au chauffeur qui la saisit machinalement. Il avait reçu l’appel de la brigade en sortant de chez Florence. Ironie du sort. En arrivant sur les lieux de l’accident, les policiers lui remirent un portefeuille soigneusement emballé dans un sachet en plastique transparent. Il le retourna. Une carte d’identité s’échappa des lambeaux de cuir et Robin eut la désagréable impression d’être happé par le visage noirci qui le fixait. Le nom inscrit sous la photographie était illisible, mais l’homme était reconnaissable. Edouard Maudet, plus jeune, souriant pour la postérité.

Le service de police scientifique analyserait les objets et les restes humains retrouvés dans le brasier pour tenter d’identifier avec certitude les victimes. Il faudrait attendre plusieurs jours avant de connaître leurs résultats.

Robin regarda le chauffeur qui reniflait en buvant son café. Il avait déclaré aux policiers avoir vu trois personnes dans la voiture lorsqu’elle avait surgi dans la lumière des phares du camion, juste avant l’explosion. Mais le chauffeur était bouleversé et Robin ne pouvait pas se fier aux déclarations d’un homme en état de choc. Edouard Maudet était une personnalité connue. Robin devait attendre les résultats des analyses pour échafauder des hypothèses.

Le chauffeur posa sa tasse avec précaution puis s’affaissa contre le dossier de la chaise, le regard perdu dans les plis de sa chemise pleine de sang. Une des victimes était morte dans ses bras. Il n’avait rien pu faire, c’était trop tard.

Le chauffeur du camion citerne n’avait rien à se reprocher, Robin était convaincu que le drame avait eu lieu avant son entrée en scène.

Robin sortit son calepin et dit :

– Racontez-nous ce qui s’est passé.

Martin se redressa et fixa l’angle du mur comme s’il cherchait une fissure dans le crépis fraîchement refait.

– J’étais malade. Des crampes, insupportables. Il fallait que je m’arrête. J’ai garé le camion sur le côté et je me suis éloigné pour vomir. C’est le crissement des pneus qui m’a sorti de ma torpeur, le crissement des pneus et les hurlements.

– Les hurlements ?

– Oui, juste avant l’explosion, des cris de bêtes sauvages. Il fit une pause. Je ne les oublierai jamais.