Chapitre XXII
 
     
 
Épisode 100
 
     
 

Robin baissa les yeux et regarda discrètement sa montre. Son geste n’échappa pas à son voisin qui soupira, choqué par ce manque de respect. L’église sentait le vieux bois entreposé depuis trop longtemps dans une cave humide. Les centaines de fleurs qui montaient la garde autour du cercueil n’arrivaient pas à masquer cette odeur de pourriture. Robin croisa les mains, non pas pour participer à la prière, mais pour se réchauffer. L’église était bondée, pourtant il avait froid.

Du haut de sa chaire, le pasteur semblait au-dessus de ces préoccupations terrestres. Il s’était lancé dans un monologue déclamé avec fougue. Il vantait les mérites du mort, un homme raffiné, honnête, généreux. Un mécène sensible aux mouvances du monde artistique passionné par son métier. Un homme investi d’une mission, amener de la beauté dans un monde trop souvent habité par la laideur.

Le pasteur s’enflammait, sa voix s’élevait au dessus des fidèles subjugués. A la fin de la tirade, ses mains blanches émergèrent de la robe noire dans un geste ample et théâtral. Il leva la tête et s’adressa aux anges.

– Dieu miséricordieux, prends soin de notre ami Edouard Maudet, cet homme exceptionnel arraché brutalement à la vie qu’il aimait tant. Amen.

Murmures dans l’assistance, recueillement. On baissait la tête, gêné par cette mort brutale qui nous rappelait la fragilité de notre existence. Le son de l’orgue se répandit comme une bénédiction dans l’église. Les murmures cessèrent, chacun repensait à ses propres morts, à ces personnes aimées disparues trop tôt.

Robin profita de ce moment de répit pour observer les proches d’Edouard Maudet qui se tenaient au premier rang, juste en face du cercueil recouvert de roses rouges. Florence semblait dormir, les yeux mi-clos, la tête légèrement penchée vers Claude qui lui tenait la main avec tendresse. Alors, des images du passé lui traversèrent l’esprit. Claude, plus jeune fixant hébétée le cercueil de son mari assassiné. Un cercueil rempli de cendres et d’habits calcinés.

Aujourd’hui aussi le cercueil était vide, enfin presque vide. Quelques objets avaient été retrouvés sur le lieu de l’accident. Un portefeuille déchiqueté et une montre éventrée par la violence de l’explosion. La police avait également retrouvé une chaussure qui avait résisté à la violence du choc. Une chaussure en daim noir avec une semelle compensée. La même que Robin avait trouvé dans le réduit, à côté de la galerie, le jour de la vente aux enchères. Le jour où il sut avec certitude qu’Edouard était le meurtrier de Paolo et de Nicky. Le jour de l’accident, le jour de sa mort.

Il l’avait soupçonné dès le début de l’enquête. Sa compassion pour Claude, sa manière de protéger sa femme l’intriguaient. Edouard cachait mal ses sentiments, il haïssait Paolo. C’est cette haine qui avait attisé ses soupçons. Lorsque Maria lui révéla ce qu’elle avait vu, les pieds enlacés de Florence et de Paolo, il fut certain d’avoir raison. Pourtant, il avait besoin de preuve, Porchet se moquait de ses intuitions.

Maintenant Edouard était mort dans des circonstances mystérieuses. Que faisait-il dans la voiture de Richard Fortis, l’amant de Florence retrouvé mort quelques heures auparavant ?

Pour Porchet l’affaire était simple. Edouard Maudet avait été kidnappé par les deux voyous qui avaient sauvagement agressé et tué Richard Fortis. Un hasard malheureux. Un accident tragique. Point final. Affaire classée. Pourtant, Robin avait insisté. Il lui avait parlé de la liaison de Florence avec Paolo, de l’homme en noir du dessin d’Aurélie, celui qui marchait sur trois pattes, comme s’il boitait, de l’attitude étrange d’Edouard pendant les dernières heures de sa vie et de son adoration pour sa femme qui le trompait avec Richard Fortis, l’homme qui venait d’être assassiné.

Il lui avait relaté le plus troublant, le témoignage de trois jeunes gens qui affirmaient avoir vu Edouard Maudet dans le parking de la discothèque. Un d’entre eux avait dit : « Je l’ai tout de suite reconnu avec son air coincé. Pendant des années, mon vieux m’a traîné à ses vernissages. Je me suis demandé ce qu’il foutait là, embourbé dans ce parking. Les autres auraient bien voulu lui piquer son fric, mais moi je voulais juste qu’il dégage. Alors on l’a sorti de son trou. Mais il n’est pas parti, il s’est garé à côté d’une Jaguar. Il est resté un moment sans bouger de sa caisse, puis on a vu les phares de la Jaguar clignoter. A ce moment il était seul.» Ces jeunes étaient des petits dealers notoires, mais Robin les avait cru.

Après avoir tué Fortis, Edouard avait dû planquer la Jaguar dans ce parking sordide. Et il était revenu, plus tard, pour effacer une preuve qui aurait permis à la police de l’identifier. Oui, Edouard Maudet était coupable, il avait tué de sang froid, et même mort, il devait payer pour ses actes.