Chapitre XXII
 
     
 
Épisode 101
 
     
 

Mais Porchet n’avait rien voulu entendre. Il avait même refusé de lui donner les résultats des analyses de la police scientifique. Il ne permettrait pas à Robin de salir la mémoire d’un homme d’exception, d’un homme qui avait été son ami. Porchet avait son coupable ; Raoul, un bon à rien soupçonné d’être l’agresseur des bars, qui connaissait Edouard pour avoir parfois travaillé à la galerie. Un voyou qui avait déjà eu des démêlés avec la justice étant gamin. Une histoire sordide. Son père avait été retrouvé mort dans sa cuisine. L’enfant avait parlé d’une histoire de roulette russe avec des balles à blanc, mais ce jour là, les balles étaient bien réelles et les empreintes retrouvées sur l’arme étaient les siennes. Il avait douze ans. Raoul avait passé quelque temps dans une maison de redressement, puis on l’avait lâché dans la nature. Pour Porchet, c’était une mauvaise graine qui avait germé en marge d’une société en panne de héros. Raoul se voulait justicier, il voulait éliminer les lopettes de la terre. Mais son jeu dangereux s’était retourné contre lui.

Oui, Raoul faisait un coupable parfait. C’était le troisième homme qui dérangeait Porchet, il avait du mal à le caser dans son récit. Norbert Bonzon, cet homme insignifiant, bon travailleur, bon mari, ne cadrait pas avec les autres personnages. Après l’explosion, le chauffeur du camion avait retrouvé son corps à quelques mètres du brasier. Malgré ses blessures, il respirait encore. Juste avant de mourir, il s’était cramponné à la manche du chauffeur et lui avait dit : « Je ne suis pas un flic, dites-lui que je suis son ami. » Et il était mort.

Mais l’autopsie révéla que ce n’était pas le choc de l’accident qui l’avait tué, il avait reçu deux balles dans la poitrine. Les balles provenaient d’un revolver que Raoul avait acheté quelques jours auparavant. Oui, Norbert était gênant, il avait eu l’indécence de s’incruster dans un tableau qui ne supportait pas les intrus. Alors Porchet avait parlé d’un vague complice, un homme sans scrupules qui avait participé à l’enlèvement. Il n’avait pas parlé de Norbert Bonzon, bon mari, fidèle employé des services du gaz apprécié pour sa disponibilité et sa gentillesse.

La veille, Porchet avait exposé sa théorie lors d’une conférence de presse. Les journalistes relatèrent l’événement avec fracas. Le public adorait les histoires sordides. Et aujourd’hui, la vie d’Edouard Maudet, figure importante dans le milieu artistique local, s’étalait sur plusieurs colonnes dans tous les quotidiens du canton.

Les dernières notes vibrèrent dans l’église. Le pasteur leva les bras au ciel comme s’il voulait retenir cet instant émouvant d’éternité. Robin supportait mal les rites de l’église, il étouffait parmi ce trop plein de bondieuseries. Mais il ne pouvait pas sortir, pas encore.

L’homme en noir se dirigea vers Florence et lut un verset du nouveau testament. Ses paroles soulevèrent des murmures de compassion, on plaignait cette belle femme encore jeune bouleversée par la perte de son mari. Robin n’écouta pas la suite du sermon, il regardait fasciné, une grosse larme couler le long de la joue de Florence. Une seule.

Toussotements, froissements de tissus, les fidèles se levèrent pour une ultime prière. Amen.

Robin frissonna, la porte de l’église s’ouvrit pour permettre aux gens de s’échapper. Un croque-mort expliqua la procédure des hommages, mais Robin n’écouta pas et, lentement, il se dirigea vers la sortie.

La lumière du jour l’aveugla. Après des semaines de grisaille, le soleil était de retour, lumière insolente venue se moquer de l’humeur des fidèles. La foule se déversa sur le parvis. On soupirait en savourant la chaleur du soleil, on saluait des connaissances, on échangeait quelques mots à voix basse. Le mort avait eu de belles funérailles.

Oui, pour un meurtrier, il avait été bien fêté.

En descendant les marches, Florence s’accrocha au bras de Philippe. Sans s’arrêter sur le parvis, ils se dirigèrent vers le cimetière qui se trouvait derrière l’église. Les proches et quelques curieux les suivirent. Robin hésita. Il voulait retrouver son bureau, retourner à sa routine, fuir ces mensonges.

Au moment où il se décida à partir, il sentit une main se poser sur son épaule.

– Inspecteur, vous ne venez pas au cimetière ?

Maria se tenait devant lui. Dans le soleil, ses habits noirs se teintaient de reflets bleu pâle. Elle semblait épuisée, pourtant elle lui sourit.

– Allez venez. J’ai besoin d’un bras sur lequel me reposer. Ces derniers jours ont été éprouvants.

Ils longèrent les allées en silence. Maria dirigea Robin vers l’arrière du cimetière et se laissa tomber sur un banc de pierre.

– Restons ici. Le pasteur va répéter ses louanges et toute cette hypocrisie me dégoûte. Elle fit une pause. Demain Raoul sera enterré. Depuis sa mort, Carmen reste enfermée dans sa chambre, elle n’est pas triste, elle a honte, honte d’avoir aimé un assassin. Raoul était un bon à rien, mais je suis convaincue que ce n’était pas un meurtrier.

Robin ne répondit pas. Il allait biaiser, trouver une parade pour éviter de lui mentir. Alors son regard croisa celui de son chef. Porchet serrait Florence dans ses bras, le visage tourné vers l’objectif d’un photographe. Le conseiller d’Etat exposait sa peine, il avait perdu un ami. Demain sa photo paraîtrait dans La Tribune , les électeurs apprécieraient la douleur de leur élu.

Dégoûté, Robin se mit à parler, Maria avait le droit de savoir.