Ceux de Corneauduc
Neuvième épisode
Chapitre IV
lcyde Petitpont n’était point natif du Duché... Il arrivait de terre normande et son visage jeune d’alors fleurait bon la pomme, la rose fraîche et l’amour tendre. Sa dulcinée sautillait à ses côtés, lui embrassait bruyamment la joue, chatouillait la bourrique qui n’en brayait guère ou encore chantonnait sur la charrette, cœur au ciel et pieds nus dans une robe bleu pâle. Elle était un oiseau diaphane qui attirait tous les yeux du village et précisait les pensées des clients du Sanglier Noir à l’heure du pisson de deuxième chopine.
Le Nord, frappé d’une mauvaise épidémie, Alcyde venait offrir ses bras solides aux paysans du soleil. Et tandis qu’il suait pour faire sa place, soumis à la dure tâche et à la médisance, les godelureaux et les fines langues de la région frappaient à la porte de sa douce épouse baptisée du nom peu chrétien de Mandoline.
Braquemart n’était alors point encore de la Croisade. Quant à Gobert, il avait pris acte des gausseries des demoiselles à son endroit et il se contentait de soupirer devant chopine lorsque les jolis cœurs s’en allaient quérir leur chance et tâter du jupon.
Mais Mandoline était fière, farouche et fidèle. Les œillades enflammées, les prouesses physiques ou les jolis mots fondaient sur elle comme neige de mai. À quoi bon faire le paon devant femelle si peu tentée par la galipette interdite.
Bouse de beurre et motte-mouton ! Les charmeurs haussèrent les épaules et s’en retournèrent à chopine, vers un Gobert moins mélancolique qu’à l’ordinaire, et en conçurent une terrible jalousie envers le pourtant aimable Alcyde.
Alcyde Petitpont ne rendait pas les coups mais ne gémissait pas sous le poing. On avait beau Dieu le rosser de sévère façon, user de la bêche ou même de la fourche pour lui faire passer gaieté et le punir d’avoir si belle épouse sous son toit, aucune supplique ne sortait de sa bouche. C’était désespérant. On perdit tout plaisir à le rosser jusqu’à cesser de le faire.
À défaut d’être aimé, Alcyde fut alors accepté tant au champ qu’à la taverne, qu’il ne fréquentait à vrai parler qu’avec étrange modération. On se disait qu’il avait sans doute mieux à faire en sa couche. Alors on soupirait, le nez dans le houblon et le cœur bien bas sous la table.
Et puis la mort noire, la peste s’en vint visiter la contrée. Elle décima plus qu’il n’est permis de conter aux oreilles pieuses, même si le Duc de Minnetoy-Corbières, mieux entendu de Dieu que ses voisins, n’y perdit que trente-six sujets. Mais l’horreur était là.
La peste passait d’un corps à l’autre comme la foudre ou le lièvre affolé, trop vite pour qu’on y pût plus que larmes et prières. Porter secours, donner soins aux malades, était folie. Le démon même n’aurait osé s’approcher de la maladie. Aussi, pire que la mort, les pestiférés subissaient la vindicte des corps sains. On les chassait du village à coups de pierres, on brûlait leur maison pour se prémunir du mal.
La plupart du temps, liens de fiançailles, voire de filiation, disparaissaient là où la maladie se déclarait. Soit la famille touchée en son entier soit le malade s’isolait derrière une lourde porte et ne recevait comme oraison que les prières des siens, qui demandaient à Dieu sans grand espoir de ne pas être entraînés dans la tombe.
Mandoline fut touchée en pleine jeunesse. Elle cracha le sang, sa peau marqua de noir.
La peste.
Alcyde ne s’en écarta pas, passait du tissu mouillé sur son front et lui parlait avec douceur à toute heure du jour et de la nuit. |