Ceux de Corneauduc

Douzième épisode

Chapitre IV

Le regard de Braquemart et de Ventrapinte passent du visage exsangue de la Duchesse à la bonne grosse bouille rougeoyante d’Alcyde qui, sûr de son art, entrouvre les lèvres de la femme pour y laisser couler un liquide trouble et verdâtre.

– N’est-ce point sorcellerie que cela ?

– Que nenni, Alphagor mon ami, c’est de la science.

– Je préfère de loin tremper moustache dans ta gnôle que dans ce bouillon de onze heures.

– Tais-toi et contemple.

Sous l’effet de la potion aux multiples plantes assaisonnée de vase des marais et de champignons rouges et blancs, la Duchesse reprend conscience et ouvre les yeux, gémissante. Sitôt consciente. Ses yeux jouent luth et flûtiau pour attendrir Braquemart qui, dès son premier mouvement, s’est posé droit devant elle en chevalier vigoureux.

– Ils me cherchent... Ils me cherchent. Il ne faut pas qu’ils me trouvent. Protégez-moi Monsieur Bourbier. Sauvez mon honneur et ma vertu...

Sa voix est faible, à peine un murmure.

– N’y songez point trop vot’ Seigneurie, dit Gobert. L’honneur et la vertu, c’est justement point trop les trucs de mon ami Braquemart... Et sauf son honneur...

La main de Braquemart vient mettre fin à l’explication, collée qu’elle est au museau déjà humide d’alcool de Gobert.

– Va-t’en fâcheux, cuistre, ivrogne... Je t’offre dix chopines pour que tu te taises.

Gobert ne se fait pas prier et Braquemart s’agenouille auprès de la Duchesse qui murmure encore...

– Ils me cherchent, ils me cherchent...

– Ce n’est point vous qu’ils cherchent, ô lumière de ce Duché, exquise excellence pour qui je verserais mon sang ici, s’il le fallait, tout de suite. Je m’arracherais bien quelques boyaux point trop utiles qui me courent par le corps pour vous montrer que loyauté et allégeance sont mes deux mamelles...

– Bougremissel ! Je ne savais point que tu portais corsage, oh mon viril ami...

– Tais-toi, malheureux, ou je vais de ce pas chez ta femme pour te renouveler descendance.

Devant pareille menace, Gobert hausse les épaules et s’en retourne à sa bouteille.

Braquemart plonge les yeux dans ceux de la Duchesse qui ne sont plus que paupières.

– Non, votre Chasteté, je crains fort pour Gobert et moi-même que ce ne soit point vous qu’ils cherchent. Mais peur serait vaine. Nous sommes ici mieux cachés qu’en enfer !

La Duchesse n’entend plus. La torpeur l’a reprise et Alcyde pose sa main sur l’épaule de Braquemart. Il ne serait point sage de parler à l’oreille de celle qui dort. Ses songes lui appartiennent et sont le meilleur remède pour lui soigner les idées tant chamboulées par Gobert et sa souche.

Ils s’assoient tous autour de la flambée que Gamin entretient paresseusement, jetant de temps a autre une bûche dans les flammes. Gobert s’en extasie soudain.

– As-tu vu Braquemart comme mon petit sait se rendre utile ?

– Jeteur de souches, jeteur de bûches, jarnicoton ! C’est une dynastie ! Pardieu, celui-ci est bien de toi, mon vieux Gobert !

Et il ponctue saillie d’une bonne lampée de vieille gnôle qui lui illumine la hure tel un lampion de la Saint-Jean.

Le silence retombe. Gamin se contracte un peu, mais seul Alcyde le remarque. Il se lève, regarde par la fenêtre puis ferme les volets d’un vigoureux mouvement.

– Ils arrivent.

 
 

Mais n’ont-ils jamais rien fait d’autre que d’arriver ?
La ligne droite est-elle plus courte si l’on fait demi-tour ?
Et si tu me prenais dans tes bras ?
Parle-t-on du Lac des Cygnes dans ton canard ?
Comment se portent les parents du prochain épisode ?