Ceux de Corneauduc
Treizième épisode
Chapitre IV
Les soldats du Duc et les miliciens que Martingale a engagés pour la battue fouillent la forêt, reniflent la terre comme troupeau de sangliers. On les voit en lisière qui s’approchent déjà du moulin. Leurs torches brillent dans le lointain, flottent comme feux follets sur l’étang.
– Vous êtes certains que c’est après vous qu’ils en ont, demande le meunier ?
Alphagor et Gobert se questionnent du regard, haussent les épaules et tendent leur verre que Petitpont remplit d’un geste serein.
Braquemart regarde le plancher en se grattant furieusement la nuque avant de répondre : « C’est après nous. Martingale a déclaré la guerre aux braconniers... Et ce porc boueux tient toujours ces promesses ! » – Et la Duchesse, demande encore Petitpont ?
– Je ne sais Dieu pourquoi elle traînait ainsi en forêt, avoue Gobert ! C’est du reste curieux... Elle ne voulait être vue des hommes du château...
– Elle avait sûrement de bonnes raisons... Une Duchesse, ça a toujours des raisons.
– C’est toi qui perds la tienne dès que tu vois un bout de jupaille, bouc en rut !
Alcyde remplit les verres d’autorité pour mettre fin à ce début d’algarade. Il jette un œil à son huis et se rassied, placide. – Je crois que vos amis ne vont pas tarder à arriver. Vous feriez mieux d’aller vous installer au grenier avec notre invitée.
Il saisit le flacon et, le tendant au forgeron : « Prenez ça avec vous et gardez silence. »
***
La Duchesse dort maintenant d’un sommeil paisible. Gobert et Alphagor ne bougent pas séant, les lèvres trempées dans un breuvage qui leur écorche une langue pourtant foutrement entraînée à laper tout ce que sur terre avait été distillé d’orage, de feu et de tempête.
Ils entendent trois coups frappés à la porte qui résonnent dans le moulin.
Lorsque Alcyde ouvre la porte, son imposante silhouette se découpant dans le chambranle, le soldat qui battait le bois d’un poing tremblotant bondit de trois pas en arrière avec les yeux terrifiés d’un lièvre boiteux entre les crocs d’un chien de chasse.
On le voit couler sueurs dans la nuit malgré le vent frais. Il regarde derrière lui ses collègues en rangs serrés qui s’accolent les uns aux autres pour ne point céder l’âme à terreur. S’il l’on se résignait à l’idée que la peste vienne frapper à sa porte, c’était une autre affaire que de frapper à la sienne. – Maître Petitpont. Excuse-moi de te déranger alors que les cieux n’ont plus trace de jours et que matines ne tarderont point à sonner... Crois bien que seul mon devoir me pousse à ta porte et me force à te tirer de l’oreiller.
– Ce n’est point grave, ami, allons. Désires-tu entrer ?
– Non point. Ce serait offense de s’imposer ainsi.
– Ce ne le serait point, ami. Je serai ravi de prendre chaise face à toi, afin de mieux te connaître.
Alcyde s’avance alors et pose une dextre lourde, chaude et ronde sur l’épaule du soldat qui ne peut s’y soustraire, mais qui paraît se liquéfier à ce contact. – On entend bien rivière, dit un mercenaire des derniers rangs.
– Ce n’est point rivière, courge molle ! consentit à lui expliquer un autre.
Le soldat volontaire avait succombé à sa peur. Il gisait sur le sol, le corps tout dur, en claquant des dents. – Il se peut que ce garçon fasse fièvre. Il faudrait quérir médecin, dit aimablement Alcyde à la cantonade. |