Ceux de Corneauduc

Seizième épisode

Chapitre V

– Ainsi donc on braconne !

Un seau d’eau froide tire le Baron de son anéantissement. Puis un coup de botte dans les côtes.

– Ainsi donc on chasse Corneauduc, comme vous le dites si plaisamment entre vous !

Des mains l’agrippent et le relèvent, le forçant à se tenir debout. La conscience lui revient peu à peu, par bribes. On lui passe des fers aux poignets ; les chaînes lui tirent les bras au-dessus de la tête. Il sent qu’on le hisse jusqu’à ce que ses orteils effleurent le sol. Il peine à prendre souffle et ses démangeaisons l’envahissent.

– Seulement Martingale veille ! Et pas que d’un œil ! Ha ! Ha ! Ha !

Un coup de cravache lui fend la joue et une partie du menton. Sous la douleur, il ouvre les yeux sur un homme maigre, laid à faire avorter une hyène, qui empeste parfum pis qu’à la cour. Ses yeux retors le considèrent avec presque de la concupiscence tellement il semble heureux de tenir proie entre ses serres.

Tout se remet lentement en place dans l’entendement du Baron Robert du Rang Dévaux. Ainsi donc on l’accuse de braconnerie ! Foutaises ! Lui qui craignait qu’on ait mis à jour sa liaison avec la Duchesse et qu’on lui ait tendu quelque guet-apens.

Il n’en est pas moins dans une sale situation. Il ne peut déclamer ici ses noms et qualités, risquant de compromettre son aimée.

Trois gardes aux livrées de Minnetoy-Corbières se tiennent derrière l’homme au visage de rat. Ils le considèrent d’un œil goguenard qui ne lui plaît guère.

– Comment trouves-tu les geôles du château, maraud ? Profites-en bien car tu les quitteras demain... pour la hart.

Martingale approche son visage tout près de celui du prisonnier et le scrute avec attention. Des relents d’oignon et de dents gâtées viennent titiller les naseaux de Robert qui sent monter l’urticaire. Il comprend pourquoi cet avorton s’oint intégralement de parfums : c’est pour camoufler les miasmes de sa pestilence corporelle. Cet homme pue plus qu’il n’est permis. Son âme salie doit corrompre ses viscères et le pourrir sur pied par l’intérieur. Et voilà qu’il ouvre la bouche : « Il me semble ne point te connaître, coquin... »

Cet homme n’a jamais connu femme de sa vie, pense le Baron. Ou alors, au bout d’une dague. C’est écrit sur son front, dans sa viande. L’amour n’est jamais passé par-là. Mieux vaut donc se taire.

Martingale fronce les sourcils.

– Non, je ne t’ai jamais vu par ici et pourtant il me semble te connaître...

Il ponctue cette phrase d’un coup de cravache sur le visage de Robert. Ce nouvel affront le réveille tout à fait. Son sang devient de feu et, bandant tous ses muscles, Robert tente de se défaire de ses fers. Il se balance contre Martingale et lui donne un coup de talons au creux de l’estomac, qui envoie l’âme damnée du Duc voler contre les cuirasses des gardes. Son élan le ramenant en arrière, Robert donne de la tête contre le mur derrière lui et se rassomme à demi.

Martingale calme du geste les gardes qui veulent se jeter sur le Baron. Il se relève péniblement en faisant de douloureux efforts pour reprendre haleine. Puis, d’une voix coupée, plié en deux, il pointe le Baron du doigt et souffle entre ses dents en détachant chaque mot : « Bastonnez-moi cela, gardes. Cent coups de bâton suffiront. S’il perd conscience, réveillez-le d’un broc d’eau salée sur ses plaies. Ne le tuez point. »

C’est à peine si Robert perçoit le sifflement de serpent prononçant sa sentence. Déjà, un choc contre la tempe lui fait fulgurer des éclairs de douleur dans le crâne. Un des gardes éclate de rire.

Un coup dans les côtes.

Robert ferme les yeux et serre les dents.

– Demain, dès l’aube, j’aurai l’autorisation du Duc pour pendre cette vermine.

Une porte claque quelque part, très loin, par-delà les grognements des gardes. Les coups pleuvent et les os craquent.

Pourquoi n’était-elle pas au rendez-vous ?

 
 

Le Baron aimerait-il se barrer ?
Le corps mis en bière échappe-t-il à la pression ?
L’alcoolique prend-il de la bouteille ?
Trop sauter donne-t-il mauvaise mine ?
Qui ose se moquer du prochain épisode ?