Ceux de Corneauduc
Dix-huitième épisode
Chapitre VI
– Foutremouise de vertugadin !
Tiré hors de l’eau par la rude pogne de Gobert, Braquemart s’égoutte le vêtement, pourpoint et jambarts, en jurant dru.
– Mouillerie de rivière ! Elle n’est jamais pareille à ce que les yeux souviennent !
– Fraîche est la nuit, Alphagor, tu ferais mieux de rentrer avant de prendre la mort.
– Bah ! Mon corps en a connu d’autres. T’ai-je déjà conté, mon vieux Gobert, les grandes rivières de glace des Ottomans ?
Une voix siffle dans la nuit comme l’annonce d’un orage aux pâtures bourgeonnantes : – Il n’importe chevalier... Vous feriez mieux de vous asseoir à bonne flambée.
Gobert et Braquemart se tournent en contre-haut. L’ombre de l’homme s’étend de la lune à la rivière. Il est vêtu d’une cape sombre qui lui permet de se tapir dans la nuit, mais son visage luit comme une maladie, comme un malsain feu follet dans l’obscurité.
Un claquement d’étoffe. L’homme s’écarte et la nuit se colore d’un léger rougeoiement. Gobert et Alphagor plissent les yeux pour voir les flammes qui dansent sur la colline. Ils se touchent de l’épaule comme pour se rassurer. – Ce feu n’existait point il y a minute, chuchote Gobert.
– On dirait que Dieu a glavioté la foudre sur la colline...
– Il y a sorcellerie là-dessous, Alphagor, mauvaise sorcellerie. J’aimerais qu’Alcyde m’explique ce miracle...
L’homme s’approche d’eux, les bras tendus. – Qu’attendez-vous braves compagnons ?! Douce flamme et dive bouteille se languissent de vous !
– Mon ami et moi avons déjà trop bu, répond Gobert.
Braquemart se penche à son oreille. – Je ne savais pas que tu pouvais trop boire...
– Je ne peux pas ! Seulement ce bougre-là a fourberie dans la voix. Je ne tiens pas à prendre goulot en sa compagnie.
Braquemart sourit... – Que de mauvaises frousses ! Si ta femme était aussi méfiante que toi avant d’ouvrir sa porte, nul ne te verrait les cornes. Moi, j’ai soif.
Et d’un pas décidé, il rejoint l’individu près du feu. Gobert se renfrogne, bougonne, mais finit par le suivre. – Dis-moi, brave homme, comment as-tu allumé ce feu si prestement ?
– J’ai mes secrets.
Braquemart se contente de l’explication et tète avidement la première bouteille qu’il trouve à sa main. |