Ceux de Corneauduc
Dix-neuvième épisode
Chapitre VI
Bouteille n’étant point infinie de contenance, Gobert et Braquemart en viennent vite à se disputer lampée.
– Comment te nommes-tu inconnu ? demande Braquemart dépossédé de bouteille par Gobert.
– Aubert-Mector, répond Hector-Maubert.
Hector-Maubert de Guincy avait trop de métier pour se dévoiler prou, mais son orgueil lui commandait de laisser résonner dans ses identités usurpées l’écho de son pur sang. – Et d’où viens-tu, inconnu, demande Gobert dépossédé de bouteille par Braquemart ?
– Où je naquis, nul ne sait. Par où pas m’ont mené, nul ne peut témoigner.
Ce disant, Hector-Maubert ne mentait point. Chassé de son domaine comme hérétique, lointain descendant de Maures et d’Albigeois, il avait confié à sa lame le soin de gagner sa vie. Sa ruse et son audace lui assurèrent pitance et mieux, l’intérêt de quelques puissants ourdisseurs qui mirent main à la bourse pour s’acheter ses services. Loyal envers celui qui le payait, Hector-Maubert de Guincy n’en faisait pas moins frémir tous ceux qui croisaient sa route, nobles ou gueux. – Quel est donc cet épais dépôt au fond de ton flacon, compagnon ?
– Une substance qui vous rendra langue agile et cerveau mou au point que ma lame n’aura nul besoin de vous chercher les mots dans la gorge.
Gobert et Braquemart sentent péril se refermer sur eux comme les serres d’un faucon. Mais il est trop tard. Leur visage semble se tordre à la flamme, leur peau se fondre dans la nuit. Ils sont pris de rires incongrus et leurs mots quittent bouche sans prévenir. – Morbleu, faquin, qu’as-tu donc mis dans notre vin, demande Braquemart en portant main au fourreau alors que pouffe Gobert dans son dos ?
– Est-ce ceci que vous cherchez, Monsieur Bourbier de Montcon, raille l’inconnu en ouvrant son manteau ?
Et Braquemart, l’œil écarquillé, voit son épée se tortiller telle vipère à la ceinture du bucellaire. – Par quel prodige connais-tu mon nom ? Comment Dieu mon épée s’est-elle donnée à ta main ?
– Tant de choses que vous ne saurez jamais... Remerciez plutôt fortune que je respecte faux croisés et vrais cocus... À présent, amis, devisons !
Gobert tente encore de garder raison. – Allons-nous en, Braquemart ! Je ne sais ce qu’il veut, mais nous avons mieux à faire en notre chaumière.
Paraît alors nouvelle bouteille à sa main. Gobert la renifle avec méfiance et, quand il lève les yeux, l’inconnu a fait place à la nuit. – Bougremissel, il s’est évaporé ! |