Ceux de Corneauduc

Vingtième épisode

Chapitre VI

La nuit vacille dangereusement, se colore, se distord dans les yeux des deux amis. Gobert tient la bouteille à bout de bras en essayant d’oublier qu’elle lui attire diantrement les lèvres.

– Ce n’est pas là chrétien sortilège du fond de cuve, Braquemart. Vois donc : cette bouteille est molle, elle se dandine en ma paume comme jouvencelle au bal de Saint-Guy-lès-Gaudèches.

– Mon Gobert, ton visage se gonfle comme crapaud en colère, se couvre de pustules et de bourgeons ! Tout se confond à mes yeux... Mon Dieu, mais que voulait donc ce gibier de bûcher pour nous faire ingurgiter pareil sacrilège ?...

– Nous délier la langue, disait-il...

– Mais il n’est plus là et nous n’avons rien dit ! Fier et brave ami, nous n’avons rien dit !... Euh... Qu’aurions-nous pu dire, au juste ?

– Je ne sais, sinon que la Duchesse nous est cause de ces tourments.

– La Duchesse, allons donc !

– Réfléchis, fanfaron de foire à bœufs ! Nous n’avons que pauvres piécettes en bourse. Pourquoi ce sinistre malandrin nous en voudrait-il ? En quoi notre langue lui serait-elle précieuse ?

– La Duchesse... Se pourrait-il que péril l’assaille ? Foin de palabres ! À nos jambes, Gobert, allons lui porter secours !

Il hoquette, gesticule dans le vain espoir de se lever, et finit séant bien collé au sol, le souffle d’après saillie.

– Gobert, mes jambes sont roseaux. Elles ploient à ne plus me tenir.

– Calme-toi, pardieu ! Les sortilèges ne durent guère. Ils se noient à potron-minet dans la lueur du jour.

– Mais la Duchesse, Gobert, la Duchesse...

– Elle risque du diable moins dans la chaumière d’Alcyde qu’au joug des maléfices de la forêt... Tu connais notre meunier. Il faudrait plus d’un rebouteux ou d’un sorcier mercenaire pour lui tourner le sang. Il a vaincu peste noire, il saura garder la Duchesse au repos jusqu’à l’aube. Puis il lui donnera remède pour qu’elle reprenne pied...

– Et qu’elle aille nous dénoncer Corneauduc...

– Alcyde nous a bien dit que ma souche lui a fait ravaler ses pensées, qu’elle ne se souviendra de rien... Fais-lui donc confiance.

Braquemart frissonne et ferme les yeux mais des monstres étranges lui dansent jusque sous les paupières. Sa sueur est plus froide que torrent d’avril et lui glisse le long de l’échine comme l’ongle du démon. Il gémit.

– Si je mets un jour la main sur cet empoisonneur...

Gobert a retrouvé quelques forces. Il se remet sur ses pieds, titubant encore, et jette la bouteille dans le brasier...

– Il est les saintes cuites au digne vin et les ivresses du démon... De celles-ci, je me passe, profère-t-il avant de saisir son compagnon à bras-le-corps. Viens, Braquemart, nous rentrons !

– Mais, la Duchesse...

Ils prennent le chemin du bourg à petits pas, les yeux troublés encore par quelques visions visqueuses. Près du feu mourant, Hector-Maubert de Guincy écarte les pans de sa cape pour réapparaître à la nuit.

– Mais oui, vous avez parlé, trognes à goutte, plus même que vous ne l’imaginez...

Il piétine les cendres agonisantes, les yeux dans les fumées qui montent en guirlandes dans un ciel qui cherche les gris. L’aube ne tardera plus. Il est l’heure pour le bucellaire de rendre rapport...

– Martingale sera content.

 
 

Est-ce plaisir retors de torturer tortue ?
Qui changera les draps si Mathilde ne revient pas ?
Est-ce que Cendrars fumait ?
Qui pleure la sole en anglais ?
L’épisode suivant est-il allé aux putes ?