Ceux de Corneauduc
Vingt-quatrième épisode
Chapitre VII
Après s’être bien frotté les yeux et gratté le fondement, le Duc en vient à conclure que son épouse a bel et bien disparu du lit conjugal. Peut-être a-t-elle eu besoin pressant de visiter latrines. Cette hypothèse ne fait que voleter un instant entre les oreilles du Duc pour s’évaporer aussitôt. Aucune chaleur du doux corps de sa mie ne subsiste dans la couche froide. Seul Achille en avait réchauffé un étroit périmètre et la peste soit de ce foutu cochon !
Le Duc est perplexe. Et comme chaque fois qu’il est perplexe ou que son entendement ne suffit pas à débrouiller une situation, il se dit qu’il faut mander Martingale sur-le-champ.
Il s’assied sur le bord du lit et pose les pieds sur la fourrure de l’ours. Son premier ours et le dernier de la contrée. La chasse avait duré trois jours au terme desquels il s’était retrouvé face à face avec l’animal. Ils s’étaient regardés droit dans les yeux et ce n’est pas avec peu de fierté que le Duc avait discerné de la crainte dans ceux de la bête. Une arquebusade à bout portant avait eu raison de l’ours, après qu’il eut éventré un des écuyers. Sa chair fut délicieuse, et c’est avec plaisir que le Duc enfouissait depuis ses orteils aux ongles cornus dans la fourrure épaisse rongée aujourd’hui par les mites.
Malgré les admonestations de la Duchesse, il ne s’était jamais résolu à s’en débarrasser. « Tu veux garder ton cochon ; je garde la peau de mon ours, garce ! », lui répondait-il galamment. Ou encore : « Cuisine-moi ton sale goret à la broche, putain d’Italienne, et je vendrai la peau de cet ours que j’ai tué ! ».
Chacun est resté sur ses positions et Achille dort bien au chaud sur la peau d’ours.
Le Duc se gratte férocement l’entrejambe. Sa vessie pleine lui joue des tours, comme chaque matin. – Par la malepeste ! Je bande dru pis que bouc ! Avec la Duchesse absente, Achille, tu as bien de la chance d’être verrat et non pas truie. Encore que pour les animaux, je ne sois guère certain qu’il puisse y avoir offense.
Il frappe d’un grand coup de poing dans le panneau de la porte pour réveiller le garde en faction devant la chambre ducale. Ce dernier fait entendre une voix pâteuse : « Messire désire ? ». – Lève ton cul mal torché, faquin, et entre séant, foutrecon !
La porte s’ouvre et le garde entre, obséquieux, avec deux besaces sous les yeux. – N’as-tu point vu sortir la Duchesse ce matin, maraud ?
– Non Messire, ce matin point. Par contre cette nuit, oui. Elle m’a demandé de la conduire aux latrines.
– Et puis ?
– Quand elle eut fini son soulagement, ce fut mon tour d’être pris d’un retournement des boyaux. La Duchesse, bonne comme vous la savez, constatant en quel prédicament je me trouvais, m’a proposé d’aller me soulager incontinent et est rentrée seule à la chambre.
– Et comment se fait-il qu’elle n’y soit point à la chambre, coquin ?
– Ça, messire, je ne suis pas devin.
Le Duc réfléchit un instant avant de dire d’un ton las : « Cours me chercher Martingale et ne traîne pas en chemin. » Puis, se ravisant : « Mais avant, dépêche-moi la chambrière, la cuisinière ou n’importe quoi de femelle excepté ma mère ; j’ai une crampe à l’os ! » |