Ceux de Corneauduc
Vingt-sixième épisode
Chapitre VII
Martingale quitte la chambre ducale, la gorge sèche et la tête lourde. La Duchesse a disparu, là, sous son nez alors qu’il a envoyé un noble en salle de torture. La situation est mal engagée, et pire, incompréhensible.
Reptile au sang froid, Martingale n’aime agir en précipitation. Cinq minutes dans les effluves de sa chambre, les narines assagies par baumes et essences, voilà tout ce qu’il lui faut.
Un courant d’air dans les tentures. Martingale se retourne... – Hector-Maubert...
Le bucellaire sort de l’ombre, le front haut et la cape lisse. – La nuit fut prospère, maître Martingale. Aussi me suis-je permis d’avancer quelque peu l’heure de notre rencontre.
Un an plutôt, lorsque la réputation d’Hector était parvenue aux oreilles de Martingale, celui-ci avait bourse délié sans même savoir quelle besogne il confierait au bucellaire. Un homme de main habile et sans vergogne, cela n’a pas de prix. Ourdir, ourdir et ourdir encore ; telle était la seule voie de l’homme sans naissance pour toucher au pouvoir. Et Martingale voulait le pouvoir... Tapi dans l’ombre du Duc, il tissait sa toile.
Il envenimait querelle entre le Duc et sa famille. Un frère de mauvaise couche, quelques cousins peu ripailleurs, le Duc priait à haute voix que la bourse ducale lui offre un bon héritier mâle pour ne point que sa mort n’offre ses terres et domaines à ses tristes cousins... Et Martingale rêvait que le Duc succombe au combat en lui confiant la régence.
Il saurait s’occuper de l’héritier songeait-il en caressant la pointe de sa dague, oui, il saurait... Et si tendre un traquenard au Duc n’était guère entreprise difficile, encore fallait-il tenir la Duchesse en sa main pour étendre son pouvoir sur le Duché... Et la garce ne donnait pas prise.
Les messagers que Martingale avait envoyés en Italie sillonner la jeunesse de Camilla avaient bien rapporté que celle-ci était moins chaste et pure qu’il ne sied à fille de noble sang, mais point de preuve, aucun scandale susceptible de la faire répudier. Martingale prenait son mal en patience, attendait que le ventre de la Duchesse grossisse en se disant qu’avec Hector-Maubert à ses trousses il finirait bien par lui trouver vice.
Un jour, le Duc serait mort, un jour la Duchesse serait en son pouvoir.
Un jour...
En attendant, le Duc était en chair et bien vivant, un Baron croupissait dans les geôles, et à présent la Duchesse... – La Duchesse a disparu Hector-Maubert, et la chasse à Corneauduc a donné gibier quelque peu encombrant...
– La Duchesse court le luron dès que ronfle le Duc... Elle dort en demeure de Petitpont. Autant dire que rentrer elle ne peut guère...
L’œil de malice et de cendre d’Hector-Maubert de Guincy, l’œil de roublardise et de fumée de Martingale... Comme un bouquet de pensées troubles qui étendrait ses ombres sur le Duché. – Ça change tout murmura Martingale dans un frisson d’extase, ça change tout. |