Ceux de Corneauduc

Vingt-neuvième épisode

Chapitre VIII

« Oyez ! Oyez ! Bonnes gens. La Baronnie du Rang Dévaux ayant été convaincue de félonies, traîtrises et crimes de lèse-Duc, Sa haute Seigneurie, Freuguel-Meuzard-Childéric, Duc de Minnetoy-Corbières par la volonté de Dieu tout puissant, déclare la guerre séance tenante au fourbe Baron Robert-Joseph-Arthur du Rang Dévaux, qui se verra dépouiller par le glaive de ses titres et honneurs. La Baronnie sera annexée au Duché de Minnetoy-Corbières et le traître recevra le châtiment qu’il mérite.

« Durant cette campagne, le bon peuple de Minnetoy-Corbières devra se préparer à soutenir les efforts de son aimé Duc en levant une milice d’un homme valide par famille.

« Pendant l’absence de notre Seigneur, Maître Eustèbe Martingale assurera la régence, et le bon peuple lui doit même obéissance qu’à son Souverain. »

Gobert écoute la valse des menaces rythmée d’un roulement monocorde. Des volets s’ouvrent, des habitants râlent que l’on brise ainsi leur sommeil.

Gobert cligne des yeux, l’âme baignée dans un mauvais retour d’alcool et dans les coupables ébats de sa mie. Il ne voit pas s’approcher son compère, aussi peu vaillant que lui, la trace violette et gonflée des mauvaises nuits sous les yeux.

– Ai-je bien ouï, Gobert ? Ce ménestrel de fond d’étuve a-t-il annoncé batailles et pillages ?

– Guerre contre la seigneurie du Rang Dévaux, oui... Était-ce donc si urgent ? Fallait-il sonner le tocsin à pareille heure ? J’ai les yeux trop lourds pour boire chopine...

– Curieux... Gobert, il y a sournoiserie là-dessous. Je t’en fais serment sur ma foi de chevalier... N’importe... J’irais bien me joindre aux soldats ; beaucoup ne connaissent ni le combat ni le sang. Ils ne savent du glaive et de la canonnade que les récits des anciens. Moi, je sais la poudre et les veillées de feu, mon ami. Et j’ai combattu bien pire ennemi qu’un baron frivole aux mains de jouvencelle et à la voix pucelée... Ah oui, j’irais... Le Duc n’a sans doute point osé mander un héros tel que moi pour une campagne de peu d’éclat, mais si j’allais de ce pas lui proposer mes services c’est à genoux qu’il remercierait, entends-tu, vieille fripouille, à genoux !

– J’entends Alphagor, j’entends chacun de tes mots comme si tu les répétais dix fois à l’intérieur de ma tête...

Ils se taisent, mais le brouhaha de la foule ne cesse point. La guerre, il n’y a rien de tel pour délier les langues, à part peut-être nouvelle de liaison friponne.

– Tout de même je me demande pourquoi il ne me fait pas mander... De toute façon je n’irais pas. Il y a manière de s’offrir mes services. Il est trop tard à présent !

Braquemart se plante au milieu de la place, les bras croisés. Il se verrait bien statue de marbre fière. Il hausse le menton pour montrer à tous son dédain de la minable guerriote qui se prépare. Une petite escarmouche indigne de lui. Vous l’auriez vu aux croisades, c’était tout de même autre chose !

Gobert sentant que son compère avait prit pose pour longue bouderie s’en retourne chez lui à petit pas, vers un lit qui ne lui dit rien. Mais a-t-il ailleurs où coucher et étancher ce sommeil qui lui pèse sur les os ?

– Où vas-tu, foutredieu ?

– Dormir.

– Ne t’ai-je donc point dit à l’instant que je sentais sournoiserie là-dessous ?

 
 

Peut-on tirer avec une haleine chargée au blanc ?
La guerre et la calvitie se retrouvent-elles au front ?
La terre n’est-elle qu’un îlot dans les flots du néant ?
Le poseur de clôture connaît-il ses limites ?
Le prochain épisode sera-t-il bissextile ?