Ceux de Corneauduc
Trente-deuxième épisode
Chapitre VIII
Braquemart traverse le bourg d’un pas empressé pour chercher son cheval, ou plutôt la monture ressemblant vaguement à un cheval sur laquelle il était revenu au pays des années plus tôt, et dont il ne s’occupait que quand le besoin de fuite ou de grand air se faisait sentir en son ventre. Il n’avait qu’à le siffler et le cheval bai, pelé, croûtu accourait au grand galop mû par une étrange reconnaissance. Le cheval boit justement au ruisseau croupi, dont la source sourd des latrines et de la cuisine du Sanglier Noir, en compagnie de Bourrue l’épaisse mule de Gobert, qui tire charrette lorsque le forgeron livre les clients dans les bourgs voisins, à savoir point tant souvent. Ils trouvent dans ce tord-boyaux, pourtant tamisé par des vessies rendues calleuses par l’absorption de liquides beugnant en diable, une douce ivresse qui les fait tanguer et, qui sait, voir le bourg d’un œil serein.
Le cheval louche même et patine des pattes lorsqu’il vient docilement à l’appel de son maître. La mule se fait plus prier. Et si elle savait que Gobert projette de lui monter sus, elle ferait sourde tête jusqu’à Assomption ou Toussaint. – Pourquoi veux-tu donc retourner chez Alcyde, demande Gobert essoufflé et rétif ?
– As-tu bu à en oublier ta souche et l’Ange qu’elle a estourbi ?
Gobert hausse les épaules et caresse l’encolure de Bourrue. – Dans notre prédicament, Braquemart, rien ne vaut le silence et l’oubli.
– Il n’en reste pas moins qu’il est de devoir de gentilshommes de ramener la Duchesse en son château. Que son époux guerroie nous laisse champ libre.
Et il monte fièrement en selle. Son cheval titube dangereusement et se rétablit à grand-peine contre le mur de la taverne. Gobert hésite à enfourcher sa mule. – Songe donc que pinte bien fraîche saurait nous égayer matin. Mais non, il faut que tu ailles hausser poitrail devant femelle indigne...
– Surveille ta langue, Ventrapinte, elle est si chargée qu’elle ne sait proférer que grossièretés.
Voyant que l’œil de Braquemart ne cille pas, qu’il serait prêt à jouer du poing pour défendre sa suzeraine, Gobert monte sur sa mule qui renâcle et tente de le désarçonner. – Bougremissel ! Cette carne a failli me mettre ruisseau !
– Jure moins dru, mon ami, as-tu déjà manqué à boire chez Alcyde ?
L’œil de Gobert s’éclaire, sa mule brait et le convoi s’ébranle dans le matin. |