Ceux de Corneauduc

Trente-troisième épisode

Chapitre IX

 flanc de colline, en amont du moulin, Alcyde Petitpont avait tendu une grande toile de lin grossier. Il en avait lié les extrémités au chêne et au cerisier qui se faisaient face depuis des siècles. Alcyde s’allongeait sur la toile, et au mois d’août il lui arrivait de cueillir cerises aux branches basses sans même ouvrir les yeux. Il se balançait, le corps mieux reposé encore qu’en sommeil. Il croquait une pomme de bon appétit en chantant entre deux croquées les mots qui lui venaient aux lèvres. Alcyde Petitpont souriait dans sa tête à en oublier le monde. De fait, il n’entendit point venir les pourtant peu discrets compères qui le tirèrent de sa sieste matinale à grands cris...

– Alcyde ? Est-ce ainsi que tu protèges la Duchesse des fâcheux qui pourraient lui nuire, demande Braquemart en sautant de selle, tandis que son cheval s’écroule dans un retour d’alcool.

– La Duchesse dort comme une souche.

– Et comment peux-tu t’allonger dans cette chose suspendue. Cela doit tourner le cœur pire que barque folle sur l’océan.

– Non. Le cœur s’y trouve juste bercé comme par les bras d’une mère... Quant au nom de la chose, les gens de là-bas me l’avaient dit, mais je ne l’ai pas retenu. Qu’importe. Ce n’est pas là chose faite pour être dite, mais pour se blottir.

– Sors de ce blottinet prestement, Alcyde, dit Gobert en se portant main à la bouche ; tu me donnes mal de mer et tu sais pourtant bien que mon ventre n’est guère fier le matin.

Alcyde met pied à terre. Il se dirige vers le moulin.

– Venez donc tous les deux. Je vais vous montrer belle prise. Gamin et moi avons hameçonné fripouille de forte taille.

– Comment cela ?

– Glisse l’œil à la trappe, Braquemart. Tu verras moisir fameux coquin entre bouteilles qui mériteraient meilleure fréquentation.

Braquemart s’exécute, tressaute.

– Gobert, c’est notre sorcier de cette nuit. Méfie-toi, meunier, ce drôle a des pouvoirs que tu n’imagines point.

– Pas celui de traverser les murs ni celui de faire flamber les bûches. Ton fils a vraiment le geste leste, Gobert.

– Dieu fasse qu’un jour sa langue le soit aussi, répond Gobert.

– Peut-être entend-il trop d’écervelleries, de rhétorique de tonnelet, pour que ses lèvres ne se descellent... N’importe. Allons voir si la Duchesse a retrouvé suffisamment de santé pour vous suivre au château.

– Il serait bon que nous ne traînions pas trop, que nous profitions de la guerre.

– Quelle guerre ?

– N’as-tu point entendu les cris et brailleries. L’armée du Duc a pris campagne. Elle s’en va assaillir le Baron du Rang Dévaux.

Un cri se fait entendre, aigu comme le chant du pinson, désuté comme celui du marin qui chante et chique à la nuit, désespéré comme le coquelet au dimanche matin du roi. La Duchesse ne retrouve plus mot, pâle comme dépouille en haut de l’escalier...

– Ai-je bien ouï ? Ai-je bien ouï ?

– N’ayant point ouï à votre place je ne saurais le dire, répond Braquemart qui bondit fort à propos pour soutenir sa vacillante suzeraine.

 
 

Est-ce que l’Abbé Pierre se mine et râle ?
L’enfant de Bohème est-il fils unique ?
Est-ce sein que ma muse m’use ?
Quel est le salaire décent d’un bénévole ?
Aimerez-vous le prochain épisode comme vous-même ?