Ceux de Corneauduc
Trente-septième épisode
Chapitre X
ur le chemin de la Baronnie du Rang Dévaux, aux confins du Duché de Minnetoy-Corbières se dressaient sur deux éperons rocheux les hameaux de Cafloures et Saint-Antoine-du-Crêt. Les moutons parsemaient les collines, nettoyaient paisiblement les champs jaunis de soleil... Pourtant, l’ombre guettait, menaçante, dans les orées environnantes, à l’abri d’un bosquet touffu ou en contrebas d’un sentier tortueux. À l’arbalète, à l’épée, à l’arc ou au mousquet, on attentait au marchand de passage et au commerçant égaré...
Les brigands quittaient la Baronnie pour le Duché, le Duché pour la Baronnie, en attendant que les esprits se calment et que mercenaires et gendarmes s’en retournent à chopine en haussant les épaules. Ils amassaient fortune, dents noirâtres et rire de gorge. Ils n’avaient pas demeure mais bourse garnie pour mille et un repas et quelques orgies dans des jupons de petite vertu. Ils n’en demandaient pas plus.
– Que rumines-tu donc, Alphagor, tu me parais bougrement inquiet ? L’oreille aux aguets, l’œil en guetteur, je ne te connais point ainsi...
– Nous sommes sur les terres d’Anzyme la dent noire, souffle Braquemart, et je retrouve les vieilles manières des croisades, les façons qu’on prend en territoire ennemi...
– Pas à moi, les croisades, pas à moi...
– Et pourquoi pas à toi ? J’en fus des croisades ! J’en fus jusqu’aux Dardanelles, j’en fus mouillé de sang et de peur, téméraire parce que nature m’a fait ainsi, brave parce que je défendais mon Église et notre vertu à tous...
Gobert se mord les lèvres d’avoir laisser la discussion se porter ainsi sur les croisades et se tait pour que s’éteigne de lui-même un discours qui sinon se serait déroulé sur des lieues.
Quant à la Duchesse, elle galope comme l’abeille butine, chantonnante, virevoltante. Elle semble ne plus se préoccuper des affaires d’État qui lui embruinaient tant l’âme quelques heures plus tôt. Sitôt que Braquemart lui eût fait serment qu’ils arriveraient avant l’armée du Duc, ses traits s’étaient détendus. Ledit chevalier la regarde maintenant, l’œil en ritournelle, avec un bête sourire... comme le bambin regarde le papillon.
Il se penche un peu sur l’épaule de Gobert et lui glisse à l’oreille : « Quelle grâce ces duchesses ! Même le cul posé sur une haridelle branlante comme Lucien, ça garde le front altier. » – Avec tous les vents dont il nous gratifie, ce n’est pas le front qu’elle garde haut mais bien le nez. Il pète à ce point dru ton Lucien qu’il avance sans même bouger les pattes. Regarde bien la route ; on n’y voit pas l’empreinte de sabots mais deux profondes ornières. Tu pourrais le louer à prix d’or aux laboureurs du Duché.
Gobert muse les yeux au ciel et un sourire lui point aux lèvres avant qu’il continue : « Si on avait une torche, on trouverait sûrement moyen de le voir galoper, le Lucien... Ça ferait comme un canon, mais à l’envers... »
– Moi je ne vois que deux croupes qui se balancent l’une sur l’autre et avec le balancement de ta mule et notre cuite d’hier je suis bien heureux d’être assis derrière toi, Ventrapinte mon ami. |