Ceux de Corneauduc
Trente-neuvième épisode
Chapitre X
Les deux malfrats échangent un vif clin d’œil. Émile, d’un geste preste, arrache les rênes des mains de Camilla. Raoul mime une génuflexion, rejette son galure haut sur son front et s’approche de la Duchesse, la considérant d’un air matois.
– Sont-ce ces deux godelureaux que je puis voir au loin près d’une mule immobile que vous daignez appeler escorte, chère Madame ?
La Duchesse se fait plus roide sur sa monture. Il semble même qu’elle a blêmi. Raoul pose une patte lourde sur son bras délicat. « En ce cas, soyez certaine que mon ami et moi tremblons devant tel péril. »
Ceci dit, il la tire bas et la Duchesse s’écroule en une cascade de cotillons aux pieds des gaillards. – Voilà bien longtemps que je n’ai vu si beaux jambons, ça me fait bouillir moelle, museau de bœuf ! Qu’en dis-tu Mimile ?
– Pardi ! Que voilà fort jolis cuissots. Un morceau de choix, Raoul, je t’en voudrais de passer d’abord...
– Une telle poularde est si tendre qu’elle s’embroche en douceur, Émile, ce serait dommage de te laisser l’abîmer avant que d’y avoir mordu moi-même.
– Devons-nous nous battre ou bien la jouer aux dés ?
– Deux gentilshommes comme nous ?
– On ne peut quand même pas la couper en deux...
– Pas tout de suite du moins...
– Après, peut-être... pour faire la soupe...
– S’il en reste quelque chose...
La Duchesse, rouge de honte et de courroux, rabaisse ses jupes et tente de se remettre debout. Ces deux brigands puent la crasse pis que son époux, si cela est Dieu possible ; plutôt mourir que d’être forcée par de tels souillons. Tout à leur discussion, ils semblent porter peu attention à elle. Elle fait un pas vers le cheval, puis un deuxième.
Raoul l’étale de tout son long d’un revers bien senti. – Toi, tu ne bouges pas ! Je discute le bout de gras avec mon compère...
Et il la plaque au sol d’une bonne botte sur la croupe.
C’en est trop pour la Duchesse qui hurle sa peur à pleins poumons. – Aaaaaaahhhh !!!
– La Duchesse, c’est la Duchesse.
Braquemart lâche la bouteille et saute sur la mule. – Pis que truie qu’on égorge, s’exclame Ventrapinte. Bougremissel, ce n’est point là voix de dame d’aussi bon sang !
Braquemart laboure de ses bottes les flancs de la mule qui râle, grogne et finit par s’écrouler dans l’herbe grasse. – Viens donc Gobert... J’ai trucidé ta mule. Et la Duchesse risque sa peau. Elle est aux mains de vils brigands !
– Que dis-tu ? Elle est peut-être simplement tombée de monture !
– Une duchesse ne tombe pas, idiot ! Elle est aux prises avec la lie, la fange, des fâcheux, des mesquins, des tueurs, des assassins ! Viens, te dis-je, il faut que je lui porte secours !
Et il s’élance à pleines enjambées, suivi d’un Gobert peu empressé. |