Ceux de Corneauduc
Cinquantième épisode
Chapitre XI
Même habillée en roturière, Camilla Clotilda, gardait un port altier, comme si le sang qui lui courait les veines dictait ses gestes. A l’auberge du Godet sans fond, il ne fallut plus d’une minute pour que les éructeurs de bonne facture ne refrènent les élans de leur clapet. Cette drôlesse n’était point pareille aux gentilles qui traînaient en lisière, contre lesquelles on se frottait le lard pour prix d’une journée de labeur. Tout en elle disait qu’il n’était point facile d’y poser la main, mais tout en elle donnait foutrement envie d’essayer.
Son escorte ne posait guère de problèmes. Seul le petiot gardait l’œil sur elle. Le grand gueulard et le gros soiffard, à la stupeur générale, venaient de finir leur deuxième godet sans même poser poignet. Nul doute qu’ils n’étaient plus bons à rien. Oui, mais voilà, même seule, la Duchesse en imposait.
Il fallut bonne demi-heure au premier galant pour se présenter. Et encore, ce fut cette teigne de Cyrille Montpensois, le préféré du baillis, celui qui ne maniait ni la bêche ni la charrue, mais rendait compte des travaux à Monseigneur Bambois, le préféré du Baron. Avec sa barbe taillée, son plastron de « sang-bleu », Montpensois était considéré comme un vendu. Mais il était trop apprécié à la ville pour qu’on osât le lui dire en lui labourant la gueule à grand coup de bottes, comme chacun dans l’assistance rêvait de le faire. – Madame, je ne sais ce qu’augure votre présence en de si tristes lieux, mais je bénis le Seigneur de vous y avoir menée.
Montpensois, tout fourchu de langue et triste compagnon qu’il fut, était de fort bonne tenue. Et la Duchesse ne savait résister à mâle compliment. Sitôt son ventre se tendait, ses lèvres s’humectaient et ses yeux se teintaient de trouble. – Monsieur, depuis l’aurore, je n’entends que paillardises et jurons. Vos mots attisent mon âme et mes sens à un point que je ne saurais dire... Ou plutôt que je ne saurais dire devant l’assistance !
– Madame... Prenez donc ma main et quittons ces tristes gueulards !
– Gardez patience et réserve, Monsieur, mon escorte, bien qu’enivrée, garde l’oeil à mes pas.
Camilla ne croyait pas si bien dire. Sitôt qu’il avait senti présence boursue à portée de sa Duchesse, Braquemart avait chassé l’ivresse comme une nuée de mauvaises mouches. – Ne sont-ce que mes sens qui se jouent de moi, Ventrapinte, ou est-ce que la Duchesse a maille à partir avec ce fat ingambe à la barbiche retorse ?
Ce disant, Braquemart s’est penché à l’oreille de Luret et lorgne le fond de la salle par dessous ses sourcils broussailleux. Gobert ne se donne pas la peine de se retourner et enfourne une truellée de ragoût qu’il fait descendre d’un long trait de bière tiède. Braquemart ne quitte pas la Duchesse des yeux et donne des coups de pied dans les jarrets de son compère. – Mais regarde donc, Ventrapinte ! Ou bien je suis le dernier des porte-bouse ou bien ce faquin bellâtre fait les doux yeux à notre Dame. S’il l’importune, j’agis, foutredieu ! J’en ai trucidé de plus gros pour moins que ça !
– Pose le nez dans ton écuelle et mange alors que rôt est encore chaud. La Duchesse semble connaître ce gentilhomme et s’il lui fait la cour grand bien lui fasse. Crois-tu qu’elle ait besoin de chaperon à son âge ?
Braquemart empoigne son compagnon par le collet et le tire à lui. Sa voix n’est que murmure quand il lui glisse entre quatre z’yeux :
– Je vais de ce pas me présenter à ce fanfaron de basse cour. Surveille bien nos arrières.
Il se lève droit et fier. Empoigne sa chope qu’il finit d’un trait, le coude bien haut, la tête rejetée en arrière, puis la repose bruyamment sur la table. Le bruit fait sursauter toute l’assemblée et le silence se fait au moment où il éructe tel un tonnerre de Dieu. Il plante son regard dans celui du jeune homme et s’avance résolument vers lui en louvoyant entre des écueils imaginaires. |