Ceux de Corneauduc
Cinquante et unième épisode
Chapitre XI
Cyrille regarde venir le grand hirsute avec un sourire au coin des lèvres. Mais, petit de taille, il doit lever la tête de plus en plus haut pour ne pas quitter son homme du regard. Quand Braquemart est sur lui, Montpensois est sur la pointe des pieds et ne voit plus que deux trous de nez aux poils sombres qui lui soufflent fort au visage. Sûr de son autorité en ce lieu, il ne se départit cependant pas de son calme et laisse tomber un froid : « Plaît-il ? » mais n’en ravale pas moins sa salive.
Braquemart abaisse ses yeux rougeoyants dans ceux de Cyrille et réprime un rot fortement aillé.
– Dites-moi, jeune foutriquet, est-il donc coutume des gentillâtres du cru d’importuner nobles dames ?
Toutes les têtes se tournent vers les deux hommes dressés face à face. Montpensois exécute une courbette moqueuse et répond d’un ton fat à souhait : « Seulement quand elles jugent bon d’être distraites d’affligeante compagnie. Vous êtes monsieur ? » La main gauche de Braquemart se lève doucement et saisit le col du bellâtre. Un quart de tour et la pomme d’Adam d’icelui remonte entre ses dents et son visage se violace.
– Je suis le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, terreur des Maures aux Croisades. J’ai marché sur les hordes tatares de Cornouailles et vaincus les Sarrasins annamites. Cette dame est sous ma divine protection.
La Duchesse pose la main sur le bras du chevalier et l’apostrophe durement : « Monsieur de Montcon, sachez que ce gentilhomme ne m’importune aucunement et veillez à le laisser tranquille et à cesser de faire le bouffon. »
Douché, Braquemart relâche un peu son étreinte. Cyrille se tourne vers la Duchesse pour lui sourire et lui dire, badin : « Ne craignez point, belle dame, cet ivrogne ignore à qui il a affaire et retournera bientôt se rasseoir pour cuver son vin. »
Ceci dit, il prend son élan et éclate la trogne de Braquemart d’un puissant coup de tête qui résonne tel un gong dans l’auberge du Godet-sans-fond. Braquemart en voit mille lampions et part à la renverse, ramant large des bras pour retrouver équilibre, reculant jusqu’au centre de la salle, renversant tout sur son passage, tables, chaises, godets, assiettes, clients, pour finalement s’affaler cul par-dessus tête dans la bière et les tessons.
Un tonnerre de rire ponctue sa chute. Toute l’assistance se tape sur les cuisses en pointant du doigt le grand chevalier. Braquemart gît les bras en croix sur le sol, couvert de honte. La tête lui tourne trop encore pour tenter de se lever. Il souffle fort des naseaux pour chasser le flot épais de sang qui s’en écoule. Gobert, ne sachant que faire, pare au plus pressé en recommandant deux godets. Les rires se calment et les conversations reprennent dans l’auberge alors que les Van der Klötten renouvellent les consommations.
Cyrille Montpensois se secoue les mains, rajuste son pourpoint et se retourne triomphant vers la Duchesse. La dame, émue par l’escarmouche, papillonne des yeux, conquise. Elle rougit quand le jeune homme pose une main sur la sienne.
La maigre Fanchon, sans savoir ce qui lui prend, se porte au secours du chevalier déchu. Elle l’aide à se relever et l’époussette comme elle peut de son tablier. Elle éponge le sang qui coule de son grand nez jusque dans sa barbe drue. Ses doigts tremblent d’une émotion qu’elle ne se connaissait pas encore, ses doigts qui se retrouvent soudain dans la main rude et sèche du chevalier qui les porte à sa bouche en un chaste baise-main.
– Grand merci, douce damoiselle, vous êtes bien bonne.
Mais le grand homme la repousse déjà d’une main ferme. Il s’essuie le museau d’un revers de manche et renifle profond, se ramonant les profondeurs. Il crache épais sur le sol, du sang, de la glaire et une dent, titubant toujours mais dégrisé et froid comme lame. |