Ceux de Corneauduc

Cinquante-deuxième épisode

Chapitre XI

Si Cyrille Montpensois a l’arrogance, Alphagor Bourbier possède l’orgueil. Si Cyrille Montpensois ploie le genou devant les puissants, Alphagor Bourbier n’a jamais courbé l’échine devant personne. Si Cyrille Montpensois a bonne lame pour combattre, Alphagor Bourbier dispose de tout le mobilier de l’établissement. L’un ne connaît rien aux empoignades des estaminets à la tombée du soir, l’autre baigne dedans depuis prime enfance.

Une chaise vole et se brise fort près du visage de Montpensois. Avant que celui-ci ne puisse esquisser geste, une gifle portée d’une main lourde comme poutre de grange lui décolle la tête. Montpensois sent les os de sa nuque se déplacer comme pour rejoindre son épaule, puis se remettre en place en un sinistre craquement. La douleur envahit son échine et l’empêche de porter la main au fourreau. Ses tempes résonnent mille tocsins et c’est à peine s’il sent les doigts de Braquemart, tartinés de lard gras et de fromage vert, s’enfourner droit dans ses narines et le soulever de terre par ce seul moyen.

Cyrille Montpensois vole à travers la fenêtre de l’établissement à grand bruit de bris. Puis, comme le faucon frappé par la flèche de l’archer, il retombe sans nulle grâce sur le sol pierreux de la cour. Pour Cyrille Montpensois, la nuit sera longue. Et, au réveil, les douleurs seront vives.

À la taverne du Godet-sans-fond, les écluseurs posent chopine pour applaudir le nouveau héros. Si la chute de Braquemart avait provoqué leur hilarité, la défaite de Montpensois inspirait le respect et la reconnaissance.
L’un d’eux, un vieux laboureur au regard noble, se lève et prend la parole.

– Ton poing et ton gosier sont ceux d’un chevalier de grand renom. Qu’il nous soit permis de t’offrir, ainsi qu’à ton ami, pitance et boisson jusqu’à que vos chairs n’en puissent plus contenir.

– Voilà offre qui ne m’a jamais vu la refuser, brave homme. Cet intermède m’a creusé soif pis que désert de cendres d’Alexandrie.

Il saisit la première chope venue et, le coude à l’équerre, en descend le contenu sans respirer alors que tous retiennent souffle.

Fanchon avait les yeux tout embués de larmes. Elle se rappelait les trouvères et les ménestrels qui chantaient à la foire. Ils vantaient les vertus de doux princes aux yeux de braises qui berçaient les cœurs comme ils tannaient le cuir de leurs ennemis. Lorsqu’elle rêvait de celui qui viendrait l’enlever à sa triste vie de soubrette, elle l’imaginait un peu plus vert, un peu plus svelte, un peu plus beau... Mais foin de détails ! Braquemart était son prince charmant. Elle en avait eu la certitude quand il s’était levé. Et puis, au hameau de Briseglotte, il n’en passerait sûrement jamais d’autres.

 
 

La vie est-elle une pieuvre où le temps t’accule ?
Effleurer la marguerite ou effeuiller l’érable ?
Les rivières font-elles leur lit dans la terre meuble ?
Comment l’Union des Suppositoires Atomiques nous refile-t-elle ses idées ?
Le prochain épisode sera-t-il pour toi ?