Ceux de Corneauduc
Cinquante-cinquième épisode
Chapitre XII
Dame Marthe Coulombier n’est point une traîne-misère. Son époux mène huit vaches aux champs dont deux lui appartiennent en propre. Elle a accouché de trois solides gaillards qui défrichent les terres du Baron avec force et entrain.
Du lait de ses vaches, elle tire fromage blanc, fromage bleu ou fromage vert, selon le temps qu’elle laisse moisissure rogner pâte tendre. Elle gratte ensuite la couenne qu’elle met à macérer avec les fruit du verger afin de donner un peu de goût à la gnôle. Marthe Coulombier aime les saveurs franches et le travail bien fait. Elle n’est pas femme que l’on toise ou que l’on méprise.
Les seigneurs peuvent guerroyer, c’est leur affaire. Ils peuvent réclamer moult impôts pour se payer armes et canonnades, c’est le malheur naturel du vilain que d’y pourvoir. Marthe Coulombier n’est pas femme à se plaindre de la mauvaise fortune... Mais que l’on incendie sa ferme alors même que ses hommes sont partis aux champs, cela son honneur d’honnête paysanne ne peut le tolérer.
Alors que la grange s’écroule, mue par sa colère, rouge de rage face au brasier, Marthe Coulombier s’est saisie de sa fourche. Dehors, les soldats, les mercenaires, les sauvages défilent. Ils passent au loin d’elle sans un regard. Elle est trop vieille et ils ne sont point assez affamés pour se contenter de vieilles croûtes. Ils espèrent trouver bonne mie de chair fraîche à la maison suivante. Marthe Coulombier les égorgerait bien un à un, mais elle sait qu’on lui tranchera la gorge sitôt sa fourche plantée. Alors elle attend. Un de ces mécréants finira bien par passer seul à sa portée. |