Ceux de Corneauduc
Cinquante-sixième épisode
Chapitre XII
Ainsi parlent les chroniques du Duché de Minnetoy-Corbières :
« Notre preux Duc Freuguel-Meuzard-Childéric et son armée s’avancèrent héroïquement en territoire ennemi afin de châtier son vil voisin, le Baron Robert du Rang Dévaux, qui lui avait enlevé épouse en domaine. L’assaut de la baronnie fut un élan divin, conduit par notre bon Duc au courage sans faille et à l’armure sans tache. Triste coup du destin, glas sonné par Lucifer, la glorieuse campagne qui s’annonçait fut brisé par le geste retors d’une femme sans âme, vilaine à qui le Duc magnanime avait décidé de laisser la vie sauve, qui le frappa en traître en noble endroit ! »
Ainsi répondent les annales de la Baronnie du Rang Dévaux :
« Cette attaque odieuse fut l’œuvre de canailles imbibées menées par un bouffon incapable au titre ronflant. Couard jusqu’à la moelle, le Duc Freuguel de Minnetoy-Corbières, s’abaissa à violer les terres de notre saint Baron en son absence. La guerre infâme ne fut pas déclarée. Mais la fortune va à la bonté et aux peuples pieux. Ainsi la Marthe Coulombier, de sa seule fourche armée, se dressa face à la forfanterie. Et sa juste colère triompha du nombre et de l’impiété. Que Dieu bénisse sa famille en dix générations ! »
Marthe Coulombier laisse couler le flot finissant des soldats devant ses yeux de colère. Sa main est crispée sur son arme. Il faut qu’elle frappe ! Enfin, elle aperçoit ce gros cavalier qui trottine en retrait, une comptine aux lèvres. Il n’en finit pas de se repaître de sa puissance. Ces écussons aux flancs d’un cheval blanc, c’est sûrement un personnage important. Marthe Coulombier n’hésite pas une seconde. Elle s’avance. Elle est sur lui fourche pointée avant que le Duc l’aperçoive. Quand il l’a voit, il se lève sur sa selle en un sursaut. Mauvaise idée. Han ! Marthe Coulombier plante à toutes forces sa fourche dans l’entrejambe ainsi découvert. Les pics s’enfoncent de trois pouces dans les chairs.
Le visage du Duc violace et verdit l’espace d’une chute. Ses yeux grands ouverts demandent à Dieu s’il est possible que pareille douleur existât. |