Ceux de Corneauduc
Cinquante-neuvième épisode
Chapitre XIII
Quelques minutes plus tard, dans la grande salle du château, Roland Meurefisse gémit de douleur, la cuisse gauche mangée jusqu’à l’œil et l’oreille droite, qu’on a retirée à même la gueule d’un chien, gisant inutile à côté de lui. Martingale n’en a cure. Il s’agenouille près d’un tas de grumeaux sanglants. Il se relève. Il s’agenouille à nouveau deux pas plus loin.
– Monseigneur du Rang Dévaux, m’ouissez-vous ? Seigneur, où donc est la tête ? Quelqu’un par ici pourrait-il me dire à quel bout se trouve le chef du Baron. Non ? Bien, Monseigneur, si vous m’ouissez, bougez la tête afin que je m’y retrouve.
Aucune réponse. – Je le craignais murmure Martingale. Il est mort. Et moi, je n’ai plus qu’à tendre cou à la corde.
Un jeune garde rouquin du nom de Guillaume Bouilluc, aux joues fraîches et au regard vif, celui-là même que Martingale avait fait bastonner trois fois l’an dernier parce qu’il le soupçonnait d’intelligence, s’avance de deux pas. Martingale le toise sans bonté. Guillaume Bouilluc avait été surpris en train de lire et, bien pis, en train de donner son avis à une servante sur la cuisine du château. Or Martingale savait très bien châtier les gardes à la première velléité d’indépendance. Mais ce jour-là, perdu devant des chairs informes et fort peu vivantes, il n’aurait refusé aucun conseil. – As-tu quelque chose a dire céans, toi le lettré ?
– Certes maître. Observez comme ce bout rougeoyant se soulève, et laisse échapper ce qu’on pourrait prendre pour flatulence. C’est le souffle. Cet homme vit, maître, et c’est à ce bout-ci que vous pouvez parler, mais je crains que sans un habile médecin, cette heure sera sa dernière. |