Ceux de Corneauduc
Soixante-deuxième épisode
Chapitre XIII
Le meunier tend sa gourde au jeune homme sans mot dire.
Le garde s’en saisit sans crainte et s’accorde longue rasade. Petitpont le considère d’un oeil étonné.
– Tu ne crains donc point peste ! Es-tu nouveau au château mon garçon ?
Bouilluc, dans sa jeune vigueur, a déjà retrouver haleine et regarde en face le gros homme.
– Que nenni, bon meunier, mais doté de jugement je ne porte guère foi aux dires de fols superstitieux. C’est pourquoi Messire Eustèbe Martingale m’a nommé pour vous courir mander.
Au nom du perfide conseiller, les sourcils d’Alcyde se froncent un instant. Que peut bien lui vouloir cette triste vipère racornie ? Le jeune homme devant lui ne ressemble guère aux fourbes flagorneurs qui sautillent habituellement autour du percepteur. Il plairait même plutôt au meunier, n’était sa livrée aux armes du Duc.
– Il souhaite que vous veniez en château afin de guérir un homme que la mort tient sous sa faux. Vous seul pouvez le sauver.
Petitpont jette un oeil sur le chemin qu’il s’apprêtait à suivre, vers ses compagnons et leurs rires. L’idée de se rendre au château ne lui plaît guère, surtout avec les événements qui se jouent depuis quelques jours. Cela n’a sûrement rien d’étranger à la disparition de la Duchesse et à la sombre visite de l’homme à la dague, pense-t-il. Il s’ourdit des choses peu habituelles dans le pays et Alcyde aimerait bien ne pas avoir à s’en mêler. Mais un homme gît dans les serres de la mort et on réclame son aide...
Il espère que ses amis n’ont que peu à redouter de leur côté. Ces deux fracassins pourront bien attendre leur goutte encore une journée. La contrée qu’ils parcourent n’est certes pas si sauvage pour qu’ils n’y trouvent auberge à leur démesure. Et ils sauront bien se défendre si danger se présentait. Gamin veille sur eux.
– Je te suis, jeune homme, mais il faudra bien que tu me dises ton nom si tu veux que nous discutions le bout de lard chemin faisant. Mon cheval est certes moins fougueux que le tien et nous aurons tout le temps de faire connaissance. As-tu mangé ? Tu as la mine grise de qui a peu dormi. Prends morceau de ce jambon et dis-moi d’où tu es.
Et le meunier tire les rênes en direction du château sans un regard vers son moulin qu’il pourrait bien ne plus revoir en cette vie. |