Ceux de Corneauduc

Soixante-troisième épisode

Chapitre XIV

a taverne du Godet-sans-fond avait connu de joyeuses agapes au cours de son histoire. Le sol avait vu choir plus d’une outre pleine, les murs avaient entendus bien des chants paillards et les Van der Klöten avaient souvent mouché les chandelles, étaient souvent montés se coucher, en marchant sur les bouteilles brisées et les fêtards ronflants. Mais jamais, non jamais, les aubergistes avaient tant vu pintes se vider, gorges chanter si fort et faux, qu’en ce jour où ce bellâtre de Cyrille Montpensois avait quitté les lieux tête la première.

Les deux étrangers parlaient plus haut que les autres, surtout le grand qui se pavanait un peu, qui se chargeait les épaules d’un passé bien glorieux. Mais les Van der Klöten, quoi qu’ils pensassent de ces dires, n’allaient point en contester la véracité. Le bon peuple se donnait soif à écouter le fier-à-bras, et la caisse se portait fort bien.
Fanchon portait les pintes à s’en faire ployer les bras, saigner les mains, mais elle ne pleurnichait pas, fière. Elle ne demandait pas à monter se coucher, comme elle le faisait parfois aux soirs qui s’éternisaient, pour essayer de déchiffrer à la bougie quelques lignes du livre que sa mère lui avait laissé à son trépas.

– À quoi bon te forcer l’esprit à faire ce que tu ne sais pas ? demandait Hilda.

Fanchon relevait le menton et montait à sa chambrette. Hilda ne lui en voulait pas. Elle faisait si bonne besogne dès l’aurore qu’on pouvait lui offrir ces quelques moments de paix. La forte et joviale tenancière n’en appréciait que mieux le dévouement de Fanchon en cette folle soirée où l’on n’en finissait plus de remonter les fûts de la cave et où l’on se demandait si la fête n’allait pas effacer la nuit.

La Duchesse se tient en bord de salle, sur une chaise, les mains bien posées sur les genoux, les lèvres sèches. Le teint pâle, elle observe les hommes crier, conter et entonner. Sur son visage, on peut lire une expression de dégoût. Enfin, elle se lève, calme, impassible, et s’approche de Hilda Van der Klötten.

– Dites-moi, ma brave. Pensez-vous que ce triste spectacle se prolongera longtemps encore ? La nuit tombe et il nous faut encore parcourir chemin.

– Vous n’irez nulle part aujourd’hui, ma pauvre dame. Ils ont tant éclusé qu’aucun d’entre eux ne montera à cheval avant demain complies. Et à l’ardeur de leur chants, je crains qu’ils n’en aient point fini de s’engorger ma bière.
La Duchesse sent son corps se contracter.

– Ces hommes sont mes vassaux, mes serviteurs. Et je jure bien que quoi qu’ils aient bu ils prendront chemin pour m’escorter, dussions-nous chevaucher toute la nuit pour atteindre Baronnie du Rang Dévaux.

 
 

Que voulez-vous me donner avant complies, bas gages ?
Quand c’est qu’on est conséquent et quand c’est qu’on est con ?
Des idiots aux flatulences fréquentes sont-ils compétitifs ?
Un bordel de galère ou un harem à rames ?
Pensez-vous que tout se corse si le tsar daigne lire le prochain épisode ?