Ceux de Corneauduc

Soixante-cinquième épisode

Chapitre XIV

Braquemart a un geste théâtral en direction de son ami et l’apostrophe d’une voix vibrante qui résonne fort au-dessus des têtes :

– Drape-toi de dignité, outre pleine, notre indigne attitude a courroucé son Immensité. Remplis vite gourdasses, et en selle ! En selle !

Ces paroles frappent Gobert comme coup de fouet en plein visage. D’un sursaut, le forgeron est debout, droit comme vergue, et entonne à en fêler chopine :

« En selle, en selle, ma mie
Chevauche, chevauche
En selle, en selle ma mie
Chevauche mon grand vit »

Ce refrain gaillard, prélude aux Stances à la Reine Cunégonde, chant épique en soixante-neuf couplets, est aussitôt repris en chœur par tout ce que l’auberge compte de gorges et ranime tous les esprits qui commençaient à sombrer en torpeur. Les Van der Klötten s’activent prestement car la tradition veut que chaque couplet soit suivi d’une tournée générale. Au refrain, on prend une longue rasade à chacun des « chevauche » et le reste du godet est terminé cul-sec après le dernier vers. On frappe ensuite trois grands coups sur la table avec la chope vide et on passe au couplet suivant pendant que les verres se remplissent.

Braquemart, gagné par la frénésie générale, bieurle en chœur à s’en péter la glotte tout en invitant d’un clin d’œil la Duchesse à mêler sa voix à la sienne. Et tous les convives hurlent à pleins poumons et apaisent en cadence leur gorge surchauffée à longues lampées de soudard. Les murs de l’auberge peinent à contenir la cacophonie de toutes ces clameurs forcenées. Les trois coups ponctuant chaque refrain éclatent comme coups de canon et s’entendent à des lieues à la ronde.

La Duchesse est prise dans un ouragan, bousculée de tous côtés, et ne trouve plus mots pour tancer son escorte. La tête lui tourne et des bouffées chaudes la font ruisseler d’une mauvaise sueur. Elle se veut retourner asseoir en bord de salle, sur cette chaise qu’elle n’aurait dû quitter, mais ses jambes ne la portent plus et elle doit s’appuyer sur une table pour ne point tomber. La frêle lumière des bougies l’éblouit et les hurlements des ivrognes semblent s’éloigner en tournoyant autour d’elle. Elle ferme les yeux un instant et se dit qu’il faudrait sortir respirer l’air de la nuit, avant de s’écrouler aux pieds de Braquemart.

Le chevalier regarde sans comprendre cette forme étendue sur ses bottes. Gobert, suspendu à une poutre du plafond, mime l’arrivée du Roi Godefroy surprenant son épouse aux genoux du palefrenier en beuglant de plus belle. Braquemart tente de relever la Duchesse mais, ne sachant y parvenir, mande l’aide de Hilda qui passait justement.

– Dame Hilda, la Duchesse se trouve mal. Avez-vous chambrette où l’on puisse la porter ?

Hilda doit crier pour être entendue tant la cohue est grande :

– Bien sûr, Monseigneur, soulevez-la, je vais vous aider à la porter.

Ployant sous leur fardeau, ils se frayent à grand peine un chemin entre les coudes haut levés et les chaises renversées. Ils parviennent enfin à l’escalier menant aux chambres. Gamin est étendu sur la dernière marche, dormant le nez dans le creux de son coude. Braquemart le hèle du bas de l’escalier :

– Oh ! Le Gamin ! Lève-toi et ouvre vite la trappe là-haut.

Le jeune garçon regarde autour de lui, l’air effaré, émergeant d’un trop court sommeil. Il jette un œil sur son père qui vient juste de choir de la poutre sur son postérieur en scandant un sempiternel : « En selle ! En selle ! »

– Gamin ! Foutredieu de Gradichon ! Ouvre cette trappe, t’ai-je dit !

 
 

Est-il possible qu’un rat vêle s’il a été fécondé par un beau lérot ?
Qui marmonne à se taire a-t-il fait voeu de silence ?
Ecrit-il des romans fleuve qui sont beau Mékong ?
Mieux vaut-il courir aux toilettes que pisser à l’arrêt ?
Le prochain épisode connaît-il des Bush dégoût ?