Ceux de Corneauduc

Soixante-septième épisode

Chapitre XIV

Descendance. Descendance. Les yeux mi-clos le souffle court et le ventre tourmenté de nausées, la Duchesse répète doucement ce mot, le chérit plus que bracelets et diadèmes que sa mère lui a offerts en jour d’épousailles. Descendance lui pousse dans le ventre. Douce récompense de bien des sacrifices.

Camilla Clotilda n’est point sotte. A ses heures de printemps, en province vénitienne, lorsque les frissons qui lui couraient le corps n’étaient point ceux d’une mère mais ceux d’une femme, elle n’avait point laissé homme de peu de noblesse lui arpenter le corps sans prendre quelques conseils.

Il était en Vénitie une vieille sorcière qu’on appelait La Gardazzi. Bourgeois et braves gens la craignaient pis que succube et elle finit sans doute sur le bûcher tant elle proférait d’hérésies. Mais les filles de bonne famille, si elles tendaient l’oreille à ses dires, pouvaient s’entacher l’honneur en basse couche sans craindre que le crime se révèle en leur corps.

Entre potions et comptes de lunes, la Gardazzi avait beaucoup à dire sur la passion et le péché. Et, si précoce et délurée que fut Camilla, elle ne pouvait écouter la vieillarde plus de quelques minutes sans baisser les yeux, sans rougir jusqu’aux tréfonds de son être. Elle se signait cent fois et priait Jésus tard dans la nuit pour se laver la tête des terribles mots qui dansaient sous ses yeux et attisaient le feu au creux de son corps.

Mais la vie eut tôt fait de lui démontrer que les paroles de la Gardazzi n’étaient que bon sens. L’amour n’était point denrée qui méritait qu’on si attarde. Camilla sut bientôt que son époux n’était que moyen pour elle, petite princesse désargentée, de conquérir un fief.

Car, si ce goujat, ce rustre, ce porc de Freuguel-Meuzard-Childéric ne pense qu’à ses parties de chasse et à lui courir l’entrecuisse, Camilla a d’autres projets pour le Duché. Elle doublera les impôts, invitera des peintres renommés qui peindront fresques à sa gloire dans des églises aux dignes courbes que des architectes de Rome, de Venise ou d’Espagne s’en viendront bâtir à la place des tristes temples de pierres froides dans lesquels on priait un Dieu sans lumière.

Oui, la Duchesse parle à son ventre. Son ventre qu’elle sait habité d’un héritier, d’un petit Duc dont le pouvoir un jour, éblouira jusqu’au Roy de France. En cette nuit de joie, malgré les spasmes qui lui parcourent le corps et la contraignent à remplir bassine de peu noble manière, la Duchesse n’en finit pas de compter les nuits. De loin en loin, de maux de femmes en mauvaises toux, le Duc ne lui a plus souillé le corps depuis deux lunes au moins. D’après La Gardazzi, il en découle douce certitude. L’enfant sera certes de moins noble lignage que son nom ne le laissera présager, mais de bien meilleur maintien. Un Minnetoy-Corbières engendré d’un du Rang Dévaux ; les mânes de son époux doivent ruer dans leur tombeau.

Lentement la Duchesse sent son corps se détendre. Toutes les idées qui volettent en son âme semblent faites pour l’apaiser. Le Baron a rempli son rôle. Il l’a ensemencée. Désormais sa vie ne compte plus, pas plus que ne compte celle du Duc. L’héritier de Minnetoy-Corbières est en son ventre. Le Duché sera à elle. La guerre qu’elle a tant crainte lui apparaît maintenant comme une bénédiction.

– Qu’ils guerroient donc, ces imbéciles. Et Dieu fasse qu’ils s’entre-tuent !

 
 

Qui s’est assis dans ton fauteuil Voltaire, froissant ta robe, est-ce Pierre ?
Quel maire est à la tête de Gland ?
Est-ce que Tintin mangea des moules un soir à Moulinsart ?
Qui veut d’une belle fée gore ?
Le prochain épisode toussera-t-il dangereusement ?