Ceux de Corneauduc

Septante-quatrième épisode

Chapitre XVI

Hector-Maubert glisse une jambe puis l’autre dans l’embrasure de la fenêtre. Il insinue son corps comme maladie en l’auberge du Godet-sans-fond. Il prend pied dans la chambre de la félonne et, à pas de loup, va fermer le loquet de la porte. Le potin infernal qui monte du rez-de-chaussée de l’auberge couvre chacun de ces gestes comme mante de fourrure. Personne en l’auberge ne saura ravir la Duchesse à ses serres.

De Guincy retourne jeter œil à la fenêtre afin d’assurer ses arrières. Alors survient un bruit, comme un craquement, comme un parchemin que l’on froisse. Hector-Maubert se fige, le corps pareil à un animal.

Il distingue un mouvement dans le feuillage du châtaignier, en face de la fenêtre. Quelque hibou, quelque écureuil sans doute. Il garde néanmoins l’œil ouvert.

Et alors qu’il cherche dans la nuit trace de la bête, une ombre oblongue surgie de nulle part grandit à lui cacher la lune. Il n’a point le temps de parer du bras ou d’esquiver du chef, le projectile lui éclate le nez et l’envoie basculer en arrière. Pour un peu, il s’écroulait sur la couche de la Duchesse. Heureusement, grâce au vacarme de la grande salle, celle-ci n’a rien entendu.

Il regarde l’objet gisant sur le plancher : une bûche.

Du sang lui coule sur le menton. Hector-Maubert de Guincy se sent la gorge prise comme en étau. La tête lui tourne comme moulin et il sent mauvaise peur l’étreindre.

L’ennemi est dans l’arbre. Le même ennemi sans doute qui l’avait mis hors d’état de nuire chez Petitpont. Est-il possible qu’il s’agisse du meunier soi-même ? Le bucellaire en doute. Petitpont n’est point homme à monter aux arbres avec la grâce d’un oiseau. Il n’est point homme non plus à galoper à travers les plaines assez vite pour le devancer. Non, l’ennemi est autre, inconnu.

Cet homme par deux fois a osé s’attaquer à lui. Il a même réussi à le mettre hors sa conscience pour heures entières. L’idée d’avoir rencontré adversaire à sa mesure aurait dû réjouir Hector-Maubert, mais le bucellaire découvre avec surprise qu’il n’aime jouer forte partie que lorsque l’adversaire est étendu, l’arme plantée au ventre. En toute chose, il aime garder le contrôle des événements. Et là, en cette chambre, il se sent comme l’ours qu’on va montrer en foire ; à merci d’un ennemi de taille.

Le bucellaire se dit qu’il ne subira pas l’humiliation. Le danger fuit lorsqu’on lui fait face. Il enjambe la fenêtre pour tordre le coup à sa peur. Il ira au pied de l’arbre défier son adversaire en duel. Et alors Dieu pardonne à l’inconnu sa misérable existence !

Hector-Maubert se réceptionne, ferme sur jambe et l’œil sur l’arbre. Des dagues ont paru à ses mains, longues, effilées. Le bucellaire forme une tache sombre, à peine visible dans la nuit, et sa voix semble se marier aux ténèbres.

– Qui que tu sois, ose donc me faire face !

Il ne peut rien ajouter. Mieux ajustée, la seconde bûche l’atteint à la tempe. Le sang forme comme un nuage rose à son front, et c’est le corps mou comme pantin qu’il tombe au sol.

Alors seulement, Gamin descend de l’arbre pour aller prévenir son père.

 
 

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